Seconde chance {Hortense & Gaïane}

La sentence est tombée : Hortense la Crételle est une femme libre à de nombreuses conditions notamment celles de servir loyalement la couronne de Déméria. Mais, elle est libre. LIBRE. Un pseudo procès a eu lieu pour décider du sort de la jeune femme. Hortense a prouvé ces derniers jours dans la jungle sa bonne volonté à aider et s’est excusée à moult reprises au sujet de ses agissements. Cela ne fera pas revivre les morts, mais déjà cela a atténué considérablement sa peine. Elle, elle a une dette à vie pour payer les pots cassés de toutes ces âmes mortes. Au vu des nombreux témoignages défendant la jeune femme notamment celui du brigadier Lionel de Rivepierre, de l'arcaniste Zéphyre de l'Orchid, du professeur Rodrigue Belorme ou encore de Mélisende de Séverac : impossible pour Gaïane de condamner à mort Hortense.

   Alors, d’un commun accord avec les autres dirigeants, Hortense doit rejoindre dans quelques jours le groupe qui retourne dans la jungle afin d’explorer les vestiges trouvés. Pas d’emprisonnement, autant se servir d’Hortense et si elle meurt dans la jungle, ça ne sera pas une grosse perte. La force d’Hortense réside dans le fait qu’elle a déjà commencé à explorer, elle connaît le terrain. Un atout indéniable que la matriarche ne peut pas ignorer. Oui, mais voilà Gaïane a peu confiance en Hortense, elle a bien entendu les témoignages des uns et des autres, mais elle veut lui parler à cette pirate de l’air. Seule à seule, en privé. Parce qu’autant le dire, Hortense n’a pas le droit à l’erreur. Elle n’a plus le droit d’échouer et même dans la jungle, auprès des autres membres du groupe, c’est elle qui représentera Déméria. Alors d’un côté, ça ne dérange pas Gaïane qu’Hortense serve de chair à canon, mais elle doit avoir un comportement parfait à l’égard de Déméria.

   Elle a un peu de rancune envers la jeune aventurière, mais la matriarche est suffisamment intelligente pour ne pas remettre toute la faute sur Hortense. Elle n’était pas seule dans l’histoire. C’est quand même en partie sa faute si Gaïane a enchaîné les réunions houleuses avec Bacchus d’Ansemer et Castiel de Sombreflamme, si elle a envoyé une dizaine de missives pour tenir informer Lidjä d’Abyme. Pour les dirigeants des autres nations, l’essentiel était surtout que leurs proches reviennent en vie et ça a été le cas. Bertin, Samuel, Mélisende, Séverine, tous sont revenus en un seul morceau (ou presque). Grâce au Ciel ! Issue positive en ce qui concerne les conversations entre Castiel et Gaïane, mais Déméria a une dette salée envers Sombreciel : dédommagement pour le zeppelin écrasé et la menace de pirates de l’air démérians ; permission d’aller « scavenger » l'épave pour en ramener ce qui peut être récupéré, retransformé, etc. ; participation à la mission d'exploration qui va se construire, afin de pouvoir étudier les mécanismes et les potentielles plantes toxiques… Elle a accepté toutes les conditions exigées par le polyarche. Hors de question pour Déméria de débuter une guerre avec Sombreciel, alors la matriarche a pris sur elle. Elle a donné bien plus que ce que le polyarche demandé, alors au fond d’elle Gaïane a un peu de mal à digérer ça.

C’est dans le bureau de la matriarche qu’a lieu le rendez-vous, Iorek est là proche du bureau dans le seul but d’impressionner Hortense : même si elle est libre, elle a une dette à vie. Désormais, elle est enchaînée à Gaïane, ça sera donnant donnant. La matriarche a bien compris que ce n’est pas une punition trop dure pour la jeune femme qui semble intéresser par la jungle. Si elle se comporte parfaitement, Gaïane la laissera tranquille, en revanche si elle recommence à mettre tout le matriarcat en péril autant dire qu’aucun témoignage ne pourra la sauver une nouvelle fois. On emmène Hortense jusque dans la pièce, la matriarche lui demande de s’asseoir sur un fauteuil en face du sien.

« Je vous ai convoqué afin que nous parlions des modalités de votre libération. Vous devez avoir des questions et je voulais m’entretenir avec vous en privé. Dans quelques jours, comme vous le savez déjà, vous repartirez dans la jungle avec tout un groupe composé d’un représentant par nation. Aucun écart ne sera toléré. Vous servez la couronne démériane désormais et j’attends de vous un comportement exemplaire. Est-ce clair ? » Ton froid. Pour Gaïane, Hortense doit faire ses preuves, mais avant cela elle aimerait quand même connaître un peu plus celle qui est désormais la représentante de Déméria (dans la jungle).

Après tout ce qui lui était arrivé, après le plan bancal des Violette pour détourner un zeppelin, après la réalisation de ce plan, après le crash, après leur aventure dans la jungle, Hortense retrouvait enfin un semblant de calme - semblant, car les péripéties de notre pseudo-pirate de l’air ne s’arrêtaient évidemment pas là. Hortense avait déjà pu souffler lorsqu’elle avait vu le zeppelin débarquer pour les ramener à la maison. Elle avait soufflé encore lorsque la sentence était tombée, lui assurant d’un même coup la liberté et la garantie que sa tête ne serait pas coupée. Un seul prix à payer : partir explorer la jungle. Cela paraissait même presque un peu trop beau. Elle avait cherché durant ces vingt dernières années le moyen de partir de chez sa tante, de pouvoir se rendre dans cette jungle en étant préparée ou avec une équipe digne de ce nom. On lui servait ce qu’elle désirait sur un plateau d’argent. Hortense sait qu’elle va mettre sa vie en danger : qui sait ce qui l’attend au-delà des frontières démérianes ? Mais plus rien ne semble pouvoir altérer la détermination qui se lit dans ses yeux. Ses parents sont morts. Elle compte bien comprendre ce qui leur est arrivé.

C’est donc en tant que femme libre qu’Hortense se rend jusqu’au bureau de Gaïane de Déméria, escortée par ce qui doit être des arcanistes, Hortense ne saurait vraiment dire. Assurément, cette entrevue la perturbe. Elle ne craint plus rien, mais se trouver devant la matriarche lui fait toujours quelque chose. Après tout, nul n’aurait pu prédire que la jeune démériane, presque au plus bas de l’échelle hiérarchique du matriarcat, deviendrait tout à coup représentante de Déméria lors de l’une des plus grandes expéditions de l’histoire - du moins la plus grande à ses yeux. Personne n’aurait pu prédire qu’elle aurait un jour l’honneur de se tenir dans ce bureau, aux côtés de Gaïane. Et puisque son statut était précaire, puisqu’elle avait déjà fait tant d’erreur, la place d’Hortense ne tenait qu’à un fil. Il lui fallait désormais respecter des codes qu’elle n’avait jamais appris, montrer qu’elle était digne de se pavaner dans ce palais, adopter un langage qu’elle n’aurait jamais pensé parler. Le moindre geste, la moindre parole provenaient désormais d’un calcul méticuleux opéré par Hortense, désireuse d’éviter les faux pas et les étourderies.

Les portes s’ouvrent. Tête baissée, Hortense s’incline. « Votre Grâce ». Tant de coutumes qu’elle trouve un peu ridicules mais qu’elle s’oblige aujourd’hui à respecter. Elle attend poliment qu’on l’invite à s’installer et elle prend place. Avant même que Gaïane ne prenne la parole, Hortense sait déjà pourquoi elle se trouve ici. Elle a été libérée, certes, mais pas sans certaines conditions et obligations. C’est de ça dont veut parler Gaïane et c’est ce que la matriarche lui confirme directement, usant de son autorité pour rappeler à Hortense que la demoiselle est désormais au service de la couronne et qu’il lui faudra garder ça en tête tout au long de son voyage. « Oui, votre Grâce. C’est très clair. Je ne peux que vous remercier une nouvelle fois de m’accorder cette confiance que je ne semblais pourtant pas mériter. Mais je peux vous assurer que m’obliger à partir dans la jungle est en réalité une opportunité inouïe pour moi. Je ne vous décevrai pas. » C’est avec beaucoup de conviction qu’Hortense parle. Elle souhaite commencer à montrer qu’on peut lui faire confiance. Qu’il va de toute façon falloir lui faire confiance. La jeune démériane ignore toujours pourquoi on l’a choisie, elle, inexpérimentée, pour mener à bien cette mission, après tous les désordres qu’elle a pu causer. La seule réponse qu’elle ait trouvé est que cette mission est des plus dangereuses, et que sa vie désormais n’a plus vraiment d’intérêt aux yeux de la couronne.

Hortense regarde Gaïane droit dans les yeux. Finis les moments de doute après le crash, finies les envies de tout abandonner lorsqu’elle a appris la mort de ses parents. Il lui faut maintenant montrer qu’elle est à la hauteur des responsabilités qu’on lui a imposées. Qu’elle est mature, qu’elle est une femme, qu’elle est la bonne personne pour ce rôle. Le coeur serré à l’idée de pouvoir retourner sur les traces de ses parents, de pouvoir vivre ce qu’ils ont vécu, suivre les étapes qu’elle a pu lire dans leur journal, il n’y a plus de doutes : en aucune façon, elle ne veut leur laisser la possibilité de revenir sur leur décision et de ne pas la faire partir aux côtés du reste de l’équipe d’exploration. « Je compte mettre à profit les quelques jours qui précèdent notre départ pour acquérir certaines compétences qui seront de toute évidence nécessaires à notre mission, que ce soit en termes techniques ou diplomatiques. J’ai bien conscience de la position que j’aurai durant ce voyage, et je souhaite en revenir en sachant que j’aurai servi loyalement la couronne. » Elle souhaite aussi en revenir tout court. Elle souhaite aussi en revenir érudite, imprégnée des connaissances archéologiques et historiques que ses parents sont allés chercher avant elle, au péril de leur vie.

Hortense ne sera pas la seule représentante de Déméria, hors de question pour Gaïane de poser toute la grandeur des découvertes de la nation sur les frêles épaules d’une agricultrice. Même si elle espère qu’Hortense aura hérité du talent de ses parents en matière de fouilles archéologiques et de recherches. Cela fait déjà un petit moment que Gaïane nourrit l’idée de partir à la découverte de ce territoire inexplorée, elle espère trouver des trésors et que le mérite revienne totalement à Déméria. Alors quand on lui a dit que les passagers perdus de l’Astrolabe avaient trouvé un vieux temple abandonné, c’était le signe que Gaïane attendait pour lancer les investigations. Plusieurs missives sont parties ces derniers jours en direction de toutes les nations et de l’Ancrage pour que chacun, s’ils le désirent, envoie un spécialiste pour participer à l’exploration. Toutes les nations ont répondu présentes :

Abyme envoie une guerrière volontaire à qui la jungle ne devrait pas faire peur,
Ansemer sous les bons conseils d’Ermengarde de Viremont a recommandé Hiéranie, déjà sur place, archéologue ayant fait ses preuves au Palais des Soupirs,
Arhab nous confie Nour Kamar, mécanicienne, ayant également participé aux fouilles du Palais des Soupirs, une experte en mécanismes et rouages !
Une botaniste arrive de Sombreciel pour mettre son savoir au service du groupe dans le but d’examiner la flore de la jungle et notamment ce lien coupé avec les familiers.
Dans la même idée, un zoologue arrive de l’Ancrage pour étudier les animaux et la faune sauvage.
Déméria fournit Hortense dans le rôle d’exploratrice et une mage guérisseuse, secouriste qui sera là en cas de bobos et pour surveiller Hortense assurément.

Autant dire que le poids sur les épaules d’Hortense est immense, Gaïane la jauge pour voir si cette dernière en a conscience. S’il y a un problème, ça sera sur Hortense que cela retombera. C’est à Hortense que Gaïane demandera des comptes. C’est d’Hortense que Gaïane se méfie, même si elle voit d’un mauvais œil la botaniste cielsombroise… de là à est-ce qu’elle n'ait pas apporté des drogues dans ses bagages, il n’y a qu’un pas…. Au vu de la situation avec le polyarche, hors de question de dire quoi que ce soit, mais Gaïane n’en pense pas moins.

Depuis le début, elle est mitigée à propos d’Hortense : une part d’elle se sent coupable de ne pas avoir pu agir avant l’action des Violette, une autre compatit à la perte d’Hortense, une autre encore se demande si elle a eu raison d’épargner la jeune femme et de lui laisser une seconde chance. Le mérite-t-elle vraiment ? Cette histoire remue encore Déméria, certains approuvent surtout au vu des témoignages favorables à la jeune femme et d’autres désapprouvent totalement et considèrent que la couronne a fait preuve de faiblesse. Cela la matriarche ne le supporte pas. Alors a-t-elle été juste ? Est-ce la meilleure décision pour elle ? pour Déméria ? A-t-elle bien fait ? Malheureusement, ses réponses reposent essentiellement sur Hortense et sa « chance inouïe ». Gaïane est tiraillée, malgré le danger, c’est une récompense pour Hortense, mais la mérite-t-elle réellement ? Elle est responsable d’une certaine manière, du crash et toutes les victimes alors certes, elle devra vivre avec ça, mais elle n’a pas été punie pour cela ; c’est précisément ce que blâment les personnes qui n’approuvent pas.

Elle n’a pas l’air si méchante cette petite... Iorek n’a pas tort, effectivement Hortense fait preuve de bonnes volontés et ça plaît d’un certain côté à Gaïane.

« Bien. Un espace va être aménagé pour vous et les autres exploratrices pour vous permettre d’effectuer, si nécessaire, des recherches approfondies lorsque vous reviendrez à Edenia. Cela va de soi que je veux être la première au courant si vous faites une découverte... » ...après tout la jungle appartient en grande partie à Déméria. « Je compte sur vous ! » Sérieuse et d'un air grave, Gaïane plonge ses prunelles dans celles d’Hortense, ce que dit la matriarche est très important et elle veut s’assurer qu’Hortense comprenne bien tous les enjeux. « Avez-vous des questions particulières ? Des interrogations ? Des doutes ? » dit-elle sur un ton plus doux pour apaiser l'ambiance lourde qui pèse dans la pièce.

La discussion avec Hortense continua pendant un moment, Gaïane répondant à toutes ses questions et lui expliquant précisément ce qu'elle attend d'elle avant de lui dire au revoir et lui souhaiter bonne chance.