A New Bloom - Hortense & Flavien

Ah ma Déméria natale... Depuis tout gosse j'ai l'habitude de vivre sur les routes, de passer d'un royaume à l'autre, et avec ça de voir des paysages, un temps, des animaux mais aussi des cultures, des habitations bien différentes à chacune de mes haltes... De Sombreciel à Ahrab, de Ansemer à l'Abyme c'est tout un éventail qui s'est offert à moi depuis mon plus jeune âge et pourtant... pourtant c'est vers Déméria que mon coeur balance à chaque fois. Revenir là bas, dans le royaume de mes ancêtres a toujours ce goût de la maison, un côté rassurant... Ce qui est étrange c'est qu'avec mes parents, et toute ma vie passée dans la caravane, je suis à peine resté en Déméria plus qu'ailleurs, mais les pauses entre les différentes tournées, les quelques semaines par an que nous passions dans la maison familiale de mes parents, là où ils habitent de façon permanente à présent m'ont toujours laissé des souvenirs magnifiques... les petites maisons noyées dans les jardins et les fleurs, les forêts et les jungles environnantes luxuriantes et verdoyantes, et nos jeux, avec les gamins du village, que nous ne voyions qu'épisodiquement mais qui étaient pourtant des amis, et que je me faisais une joie de revoir trois ou quatre fois par an, sans doute plus, au gré de nos déplacements... Et même si je change de royaume avec plaisir, observant le changement qui s'opère petit à petit le long des chemins, d'un relief à l'autre, d'un climat à l'autre, mon sourire est toujours plus grand quand je rentre à la maison...

Et là, après une longue tournée, je suis heureux quand nous atteignons enfin les collines boisées et les rivières chantantes de ce pays si vert... C'est une des choses qui me manque le plus quand je suis en Arhab d'ailleurs, le manque de verdure. Enfin je ne dirais pas que ça me manque, mais c'est ce qui me choque le plus. Ici j'ai l'habitude de voir mon regard arrêté par des bosquets et des buissons, des vergers et des vignobles, alors que là bas... il y a un infini de sable doré, percé parfois d'un rocher et de temps à autres, presque comme un miracle, une ville ou une oasis... Et puis depuis quelques années, le retour en Déméria annonce aussi les retrouvailles avec mes parents et mon frère ainsi que sa tribu, où tous, fatigués par la vie sur les routes, se sont installés définitivement, et mes séjours ici sont maintenant les seuls moments où je les vois, contrairement à avant, où ils faisaient partie intégrante de mes journées... Et il y a aussi la douce Hortense, que je connais depuis que je suis haut comme trois pommes, et qui a peuplé mes souvenirs d'enfance, d'adolescence et de jeune homme, les années n'arrivant pas à nous éloigner. Bien sûr nous ne nous écrivons pas tous les jours, et je ne souffre pas le martyre quand je ne la vois pas, mais j'ai toujours grand plaisir à passer la voir à chaque fois que je rentre, lui ramenant quelque chose de mes voyages et lui faisant écouter mes nouvelles chansons. C'est un de mes publics préférés et son avis compte beaucoup pour ce que j'écris... En plus, j'aime aussi lui raconter tout ce qui nous est arrivé pendant nos voyages, car elle ne quitte pas Edenia, et j'aime voir des étoiles s'allumer dans ses yeux sombres lorsque je parle de neige et de dunes, d'Ahrab ou de l'Ancrage... Un peu comme si je la faisais voyager par procuration...

Le soir nous arrivons chez mes parents à Rosardence, et après avoir passé le dîner avec eux, je monte me coucher dans mon ancienne chambre, dormant du sommeil du juste. En début de journée, je remplis mes sacoches et selle un des chevaux de la famille, promettant de faire attention sur la route me menant à Epi-d'or, le domaine familial d'Hortense. La promenade me prend quelques heures mais c'est agréable, m'arrêtant vers midi pour déjeuner, la journée est magnifique et douce, et je chemine avec plaisir dan ma contrée, longeant les champs de blé et les vergers en fleur jusqu'à arriver en vue de la ferme que je connais bien. En approchant de la maison je mets pied à terre, et commence à appeler joyeusement à la cantonade, espérant qu'elle soit là. C'est vrai que je n'ai pas pensé à la prévenir, et j'espère vraiment qu'une arrivée à l'improviste ne va pas la déranger ou la fâcher. Heureusement je vois bientôt son joli minois et un sourire illumine mon visage alors qu'elle s'approche de moi.

Bonjour joli rouge-gorge! Comment vas-tu?

Je la prends dans mes bras, la faisant tournoyer une seconde avant de la reposer.

Ca fait longtemps! J'espère que tu vas bien! Je ne te dérange pas en plein milieu de quelque chose j'espère?

Ma monture connaît le chemin presque aussi bien que moi, et je pourrais presque lui laisser la brise sur le cou et m'emmener jusqu'à Epi d'Or, et je savoure cette balade. D'habitude je ne suis pas seul, j'ai toute une caravane imposante, lente et lourde avec moi, que je dois guider et surveiller, des roulottes contenant artistes et voyageurs, des carrioles de matériel couvertes de bâches, un joyeux bazar fait de musique, de bavardages, et de bruits divers de familiers et d'humains qui se répondent et s'appellent. Là je suis seul, totalement seul, perdu dans cette nature verdoyante et luxuriante que j'aime tant... C'est d'ailleurs une des choses qui me manque le plus quand nous quittons ma contrée : les plantes et les arbres, les fleurs et les buissons  qui foisonnent partout où le regard porte. Alors là je profite des trilles des oiseaux et du chant du vent dans les feuilles, des rires des ruisseaux et du rythme régulier du sabot sur le sol. De temps en temps je me penche pour attraper une pomme ou une pêche, que je mange tranquillement et mon sourire s'agrandit à mesure que je m'approche du fameux domaine qui recèle tant de souvenirs joyeux, de nos jeux d'enfants et des rires partagés. Puis enfin je reconnais le vieux mur d'enceinte, et au loin je distingue des silhouettes dans un champ. Est-ce que c'est déjà le moment des plantations d'été? Pour l'instant je suis trop loin pour reconnaître des visages, je vois simplement des formes, grandes comme des corbeaux ou des pies. Je maintiens l'allure et les corbeaux grandissent, se dotent de bras et de jambes et finalement de visages. Et je reconnais enfin celui que je cherchais parmi toute sa famille, et son accueil est aussi chaleureux que ce à quoi je m'attendais.

Elle me fait rire, mon petit rouge gorge, avec des mèches folles échappées de son foulard, et de la poussière sur les joues, alors qu'elle me contemple avec un sourire radieux. Sourire que je lui rends.

C'est ma faute, je ne  t'ai pas envoyé de message, mais je n'ai réalisé ça qu'une fois parti... Je me suis dit que j'allais tenter ma chance, et que si tu n'étais pas là, eh bien ça serait tant pis pour moi!

Avant de comprendre ce qui m'arrive, comme une petite tornade champêtre elle a déjà ôté les sacoches de ma monture et file à l'intérieur, et j'ai à peine le temps de réaliser qu'elle n'est plus là qu'elle est à nouveau sous mon nez, un verre d'eau en main.

Tu sais qu'on a le temps? La caravane ne repart que dans quelques jours alors... doucement. Et tu as déjà beaucoup travaillé, à le voir à ta mine... Ne t'en fais pas, je m'en occupe de ma monture. Mais merci...

Je bois une longue gorgée d'eau fraîche avec un soupir de plaisir, puis je le lui rends avant de désigner ma monture.

Je reste avec plaisir, si ça ne dérange personne bien sûr... Et en attendant, je peux mettre Chester aux écuries? Ou au moins dans un pré?

Je saisis les rênes et le brave cheval me suit à pas lents, reniflant le sol et tentant de grappiller quelques brins d'herbe entre les dalles de la cour. Je fais claquer la langue et il me suit jusqu'à un anneau dans le mur où je l'attache, et le desselle rapidement, ôtant son filet, sa selle et son tapis que je pose sur un tréteau vide à côté. Reprenant le licol, je le guide jusqu'à un box vide dans lequel il entre et s'attaque déjà à l'avoine dans sa mangeoire, pendant que les chevaux installés de part et d'autre tendent déjà les naseaux vers lui, oreilles en avant, histoire de faire connaissance. Maintenant que je me suis occupé de lui, je retourne auprès de Hortense, et désigne le champ d'un geste du menton.

Tu as besoin d'aide pour finir plus vite? Et que je te raconte tout ensuite, ou es-tu si impatiente que tu veux que je commence maintenant?

Je ris doucement avant de continuer.

De toute façon j'ai tout ce dont j'ai besoin dans mes sacoches!