Histoire
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31 mai 968Ma date de naissance, selon ma mère. Enfin...de mes premières années je n'ai que de bons souvenirs épars... Mes frères et soeurs, aînés puis cadets vivions sur les routes avec nos parents, qui faisaient partie de la fameuse caravane des Arts. Il y avait Fabien l'aîné, puis Fedora, Fidelia, moi même et suivirent François, Filippa et la dernière Felicia.
Pour moi ça n'a jamais été "La fameuse caravane" mais c'était tout simplement chez moi, ma maison même si elle n'avait pas des murs de pierre et des fondations solides enfoncées dans le sol... Mon univers était le monde et la maison était notre roulotte. Enfin, d'abord la première roulotte, celle que nous occupions avec nos parents, et quand la famille s'est trop agrandie, nous avions droit à notre roulotte à nous, plus petite et tirée par deux braves poneys que nous adorions. Quand j'y pense, et j'y repense, je plains les autres gamins, les gamins normaux dont le quotidien était tous les jours le même... aller à l'école ou travailler, rentrant toujours au même endroit, répétant les mêmes taches...A part pendant la guerre où on a fait deux tournées au lieu d'une pour éviter de se rapprocher trop près des champs de bataille et des pillards. Ici, dans la caravane, chaque jour était différent. Je me rappelle de l'odeur des chevaux et du roulis sur les chemins cahoteux qui font qu'aujourd'hui encore c'est dans un lit "fixe" que j'ai du mal à dormir, et de la musique, constamment autour de nous, que ce soit par les chants de notre mère, même si son principal talent était de conter des histoires, attirant à elle seule une partie des spectateurs à chacune de nos représentations, et le luth de mon père qui l'accompagnait, parfois juste tous les deux alors que nous étions tous sagement (pour une fois) en cercle sur le sol à leurs pieds, ou sagement assis à l'arrière de la roulotte alors qu'eux étaient sur le siège du conducteur et se retournaient pour nous sourire de temps à autre, leur chanson parfois reprise par une, puis deux, puis trois roulottes, parfois même par le convoi tout entier. Je me rappelle de l'odeur du feu de bois qui imprégnait constamment nos vêtements parce que c'était là le centre de notre foyer, là où on mangeait le midi et le soir, là où se retrouvait les soirs où il n'y avait pas de représentation, à écouter des histoires, regarder des spectacles de marionnette, voir les grands danser... Je me rappelle de notre liberté, à pouvoir galoper partout à condition de ne pas trop s'éloigner, à nous glisser à travers les artistes en train de se préparer, et bientôt d'aider, apporter ci, ramener ça, aider à soigner les animaux, ranger le matériel et les roulottes, démonter la scène, replier les rideaux, préparer les accessoires et toutes sortes de choses qui ne nous donnaient pas l'impression de vraiment travailler, mais juste d'avoir une place, ici, parmi eux.
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31 mai 975Mes sept ans. Pour mon anniversaire je reçois un instrument de musique, comme tout le monde dans la famille au même âge. Ma mère, Faustina, en plus d'être une très joueuse de harpe et une bonne chanteuse était avant tout conteuse de talent, sachant enchanter un auditoire à l'aide de ses mots. Mon père, lui, maniait plusieurs instruments dont le luth, la flute et également la vielle. C'est donc tout naturellement que chacun d'entre nous s'était vu offrir l'instrument qui, selon mes parents, lui correspondait le mieux... J'ai eu le luth, mais on trouvait également chez nous une viole, une harpe, une flûte, un cromorne ainsi qu'une citole et une guiterne. Et bien sûr, en plus que chacun apprenne à jouer de son instrument, quand le temps était long on se les échangeait et chacun avait un minimum de maîtrise de tous les autres instruments, même si certains étaient plus doués que d'autres. Petit à petit, entrer dans la musique nous a aussi permis de gagner notre place au sein de la caravane. Nous n'étions plus seulement des petites mains, mais nous participions au petit orchestre accompagnant les représentations.
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Février 985Ma rencontre avec Béatrice. Petit à petit, au fil des mois et des années, j'avais vu tous les gamins de mon âge, et parfois plus jeunes rencontrer leur familier et j'avoue que j'étais à la fois jaloux et inquiet. Jaloux parce que je voulais moi aussi connaître ce lien si particulier qui nous unissait avec cet être qui nous accompagnerait jusqu'à la fin de nos jours, avec qui on partagerait tout, et qui nous connaîtrait mieux que nous-même. Et inquiet parce qu'à seize, presque dix-sept ans je n'avais toujours pas rencontré le mien et j'avais peur que cette rencontre ne se fasse jamais, que je rate le coche et que ce soit terminé pour moi, condamné à vivre seul au milieu de toutes ces paires si fusionnelles et épanouies... Et puis elle est arrivée. L'hiver était glacial et nous nous étions arrêtés pour nous mettre à l'abri d'une tempête de neige. Avec quelques autres, nous étions sortis pour aller chercher du bois, dérogeant à notre règle de dîner tous ensemble pour rester chacun dans sa roulotte, chauffant sa nourriture dans le petit poêle qui équipait chacune d'entre elles. Alors que je tirais des branches mortes couvertes de neige, j'ai vu des taches colorées et je me suis penché pour voir ce que c'était. C'était un oiseau... une oie, toute jeune adulte et raide de froid. Comment cette pauvre chose s'était retrouvée ici? Aucune idée... Peut-être qu'il était trop jeune au moment de leur migration et qu'il s'était perdu, ou qu'il n'avait pas eu la force de continuer... J'ai failli le laisser là quand quelque chose, que je ne pouvais pas expliquer, m'a poussé à l'emmener. Après tout... ça ne coutait rien. J'ai ouvert ma besace et glissé l'oie à l'intérieur avant de refermer soigneusement. Ca pourrait toujours être utile pour le dîner du soir, histoire qu'elle ne soit pas morte en vain. Pendant encore de longues minutes, je me suis frayé un chemin à travers le blizzard pour ramener le bois, avant de le couper à la hâte avec une petite scie, en déposant devant les roulottes des artistes les plus fragiles, avant de finalement retourner dans celle que je partageais avec mes frères et soeurs. Et au moment de m'asseoir devant le poêle et de tendre mes mains vers le feu, j'ai vu quelque chose bouger dans le sac que j'avais déposé près du feu. J'avais totalement oublié l'oie et je n'avais pas la moindre idée de ce qui était en train de se passer, alors comme un idiot j'ai hurlé, bondissant du tabouret comme si j'avais le feu aux fesses, avant d'attraper un tisonnier comme une arme, prêt à frapper. Et c'est là que j'ai vu surgir des plis du bagage une petite tête duveteuse et de grands yeux noirs. J'ai soupiré de soulagement, en voyant que ce n'était pas un monstre, et j'ai attrapé la petite chose tremblante qui se débattait. Par quel miracle est-ce que cette créature était encore en vie? J'ai remercié les dieux silencieusement alors que j'ai enroulé le volatile dans un linge et l'ai posé sur les genoux avant de m'installer plus près du feu. Là j'ai entendu un soupir, puis un ''merci" avant qu'elle ne se pelotonne et s'endorme, cessant petit à petit de trembler.
Voilà comment je me suis retrouvé avec une oie comme familier. Une oie boiteuse et au fort caractère qui plus est...
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Septembre 985Je m'étais habitué à avoir un familier, même s'il était aussi têtu et ronchon que Béatrice, surtout quand elle venait de se lever. En fait je serais mauvaise langue si je disais qu'elle n'était que ça...bien au contraire. Je connaissais enfin ce que ça faisait d'avoir ce lien privilégié et je crois qu'elle aussi se plaisait à vivre avec nous, bien nourrie, protégée des prédateurs et dormant tranquillement dans son panier en osier suspendu au plafond, juste au-dessus du poêle... Mais une autre grande nouvelle est survenue : la nomination de mon frère. Notre famille avait une longue histoire avec la caravane des arts, étant de quasiment tous les voyages, et toute la tribu des Harpelige était une composante essentielle du spectacle et de son organisation même si ma soeur aînée s'était établie en Sombreciel où sa plume agile se mettait au service des notables pour leur offrir toutes sortes de divertissements. Et donc un soir mon frère a été nommé à la tête de la caravane des arts suite à la réunion annuelle regroupant les lumières de la guilde. Personne ne s'y attendait, surtout pas lui, et l'annonce faite nous a tous plongés dans une immense joie et un profond honneur pour notre famille. La fête a duré jusqu'au petit matin, après des cris, des applaudissements, des chants et des hourras. J'étais tellement fier de lui, de voir tous ses efforts et son talent récompensés par cette haute distinction.
Quant à moi, je continuais de développer et d'exercer mes talents, participant vraiment depuis quelques années aux représentations, d'abord en tant que simple musicien parmi d'autres, avant de m'affirmer petit à petit. Ma maîtrise du luth héritée de mon père, et ma belle voix héritée de ma mère m'ont fait écrire et interpréter des chansons que je jouais entre les numéros en guise d'intermèdes. Bientôt certaines d'entre elles commencèrent à devenir populaires, à se répandre, et plusieurs fois, en revenant dans une ville, je trouvais une partie du public capable de reprendre encore certains airs en choeur avec moi, ce qui me serrait toujours un peu la gorge au début avant de me rendre simplement très content et fier.
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Novembre 987Une révélation importante pour moi. Alors que j'aidais à ranger toutes nos affaires en vue de notre départ imminent, et quand je dis nos affaires je parle de celles de la caravane, j'ai fait tomber par erreur une caisse qui contenait des costumes. Ou tout du moins qui devait contenir nos costumes... parce que quand je l'ai faite tomber sans faire exprès, elle a vomi une marée de tissus colorés, de plumes et de paillettes... avec en dessous toutes sortes d'objets qui n'auraient vraiment pas leur place dans une caravane d'artistes. A cet instant mon frère a surgi, a tout remballé à la hâte et a soigneusement caché ces trouvailles avant de m'entraîner dans un coin à l'abri des regards. C'est là qu'il m'a expliqué qu'en échange d'argent et de quelques services, il arrivait à la caravane de collaborer avec le Pas de l'ombre, en faisant passer des objets et parfois des hommes. J'avoue que la nouvelle m'a fait l'effet d'un coup de tonnerre... naïvement, j'avais toujours vu la caravane comme quelque chose de sacré, uniquement dédié aux arts et aux artistes, et découvrir ce type d'arrangements. Pourtant j'ai bien vite compris que c'était monnaie courante et que ce n'était un secret pour personne. Les gens étaient simplement discrets.
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Mai 988Ah Carolina...une jeune personne qui nous avait accompagnés, utilisant la caravane comme moyen de transport et resta avec nous quelques semaines Il aurait fallu être idiot pour voir qu'à la seconde où Fabien a posé les yeux sur elle, il n'en est pas tombé fou amoureux.. Après, je le comprends, Carolina était une de ces beautés qui ne laissent personne indifférent, même pas moi. Mais elle était trop vieille. Pour Fabien, elle était parfaite... fine avec de grands yeux verts et aux cheveux couleur de feuilles d'automne, la peau de lait constellée de taches de rousseur, douce et tendre sans être fade ou insipide... Pendant des semaines je les ai vus se tourner autour, échanger des regards alanguis qui me donnaient envie de les gifler à cause de leur niaiserie, puis discuter et rire ensemble, se toucher doucement les mains quand personne ne les voyait... enfin, moi je voyais tout, évidemment. Même les baisers qu'ils se donnaient dans les recoins sombres. Et c'est moi qui ai écouté mon cher frère geindre pendant des semaines après qu'elle ait quitté la caravane, à l'entendre répéter mille fois à quel point elle était parfaite, à quel point elle était drôle, belle et spirituelle, me harcelant pour que je l'aide à composer des poèmes et des chansons pour elle, à sa gloire et que sais-je. Je crois que s'il ne l'avait pas demandée en mariage, j'aurais fini par l'étrangler. Sincèrement. Mais heureusement la belle a dit oui, ses parents aussi et après quelques mois de séparation ils se sont unis dans une fête qui restera à jamais gravée dans l'histoire de la caravane des arts, au point que certains ont mis deux à trois jours à décuver ou se remettre (même Béatrice qui est allée fourrer son bec dans une coupe de vin et qui ne marchait plus droit) . Et chacun de nous a offert son ou ses plus beaux numéros pour les éblouir ce soir-là.
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Juillet 989Mon premier contrat "fixe". Jusqu'à présent je n'avais jamais eu l'envie de poser mes malles quelques temps temps pour un contrat, préférant vivre sur les routes avec toutes les aventures que cela implique. J'aimais que mes yeux ne s'ouvrent pas deux matins de suite sur le même paysage, mais cette fois, lors de notre passage à Ansemer, et au vu de mon succès grandissant au luth ainsi que la popularité de mes chansons ont fait que la consul Ermengarde souhaitait m'avoir à la cour du triumvirat afin que j'écrive de belles chansons guerrières à la gloire des héros passés et surtout de son mari défunt. Sacré personnage qui ne laissait personne lui marcher sur les pieds malgré sa condition de femme. Au début, lorsque j'ai laissé la caravane repartir sans moi, je l'ai pris avec joie, comme un nouveau départ, une nouvelle expérience qui allait pouvoir me faire découvrir de plus près la vie et la culture ansemerienne. Mais j'ai vite déchanté. L'architecture était oppressante et le climat affreux. De plus, je savais, en terme de connaissances, que les femmes en Ansemer avaient moins de droits que dans certaines nations voisines, mais je ne m'imaginais pas à quel point. C'était à peine si on les considérait en être vivants pour certaines, ou juste vues comme des génitrices et des intendantes pendant que les hommes étaient sur les flots et en mer. Leur situation était plus enviable au palais, surtout grâce au pouvoir de Ermengarde mais tout de même... J'ai tenu deux mois, deux mois où jour après jour j'ai dépéri comme une plante sans soleil, malade d'avoir voulu me forcer à avoir des racines dans le sol alors que j'étais comme ces orchidées dans la jungle qui poussent sur les troncs couchés, leurs racines aux quatre vents. Heureusement, je pouvais continuer à envoyer des messages à ma famille et au reste de mes amis de la caravane, et j'ai compté les jours jusqu'à ce que je sois enfin libéré de leur obsession pour les chansons guerrières et surtout paillardes qu'ils chantaient dès qu'ils étaient entre hommes, qui me sortaient par les yeux.La seule chose positive que j'en ai tirée a été un somptueux luth que j'ai pu m'acheter avec ma solde, et le dernier jour de mon engagement terminé, j'ai poliment présenté mes respects et mes adieux, remercié dame Ermengarde et j'ai filé sur un cheval pour retrouver les miens. Depuis je n'ai plus voulu de contrat fixe, à part ponctuellement, quand c'était pour une ou deux semaines, rarement plus.
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Juillet 996Une date à la fois joyeuse et triste... Je devenais oncle pour la sixième fois mais cette nouvelle naissance sonnait aussi le glas de notre collaboration, Fabien et moi... Avec toute cette marmaille, Carolina était épuisée par la vie sur les routes, bien qu'au fur et à mesure des naissances je me suis chargé de plus en plus de tâches qui incombaient à mon frère afin qu'il ait du temps pour jouer son rôle de père auprès de ses enfants. Seulement, si pour Fabien et moi cette vie sur les routes était la seule façon de vivre que nous connaissions, et que les rares fois où nous passions quelques semaines dans notre maison "officielle" en Déméria étaient une torture, ce n'était pas le cas de sa femme, à qui une vie régulière et fixe manquait. C'était donc le coeur gros mais avec le courage de faire ce qui était le mieux pour ceux qu'il aimait qu'à notre prochain passage dans notre royaume, ils s'y établiraient définitivement. Sur place, ils recevraient l'aide de la famille de Carolina, mais également celle de nos parents, qui occupent à présent notre demeure de façon permanente et qui gagnent leur vie en accueillant des apprentis artistes, ou en étant recrutés de temps à autres par les nobles de la région lors de festivités et grands événements.
D'ailleurs, à force d'aider mon frère, qu'il m'apprenne petit à petit le fonctionnement de la caravane, ce qui se cache derrière ces prodigieux spectacles dont nous ravissions tout Arven mois après mois et année après année, j'ai réalisé plusieurs choses. La première est que c'était beaucoup moins aisé que ce à quoi je m'attendais : j'avais toujours pensé que nous voguions un peu au petit bonheur la chance sur les chemins, loin de me douter de tout le travail de négociation, organisation, réservations de toutes sortes. Et aussi que certains personnages qui voyageaient avec nous avaient un caractère un peu spécial... J'ai appris les accords avec le Pas de l'Ombre et les compagnes, les meilleures routes, quand passer dans chaque royaume en fonction de la saison, quels étaient les seigneurs favorables aux arts et ceux qu'il fallait éviter.
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Septembre 996Mon frère et sa famille ont officiellement abandonné leur roulotte, qui était celle de mes parents, et ça m'a fait bizarre d'assister à leur emménagement, observant tous les objets du quotidien qu'on en sortait afin de les installer dans leur nouvelle demeure, une bâtisse agréable et assez vaste pour toute sa tribu, agrémentée d'un verger et un large jardin... Au prochain voyage il ne sera plus là pour rire à mes mauvaises blagues, se moquer des mes poèmes qu'il jugera toujours trop mièvres ou dont il critiquera la métrique, et sur scène aussi, pour présenter les numéros, et pour travailler ensemble au bon fonctionnement de la caravane... Il va laisser un vide immense, même si je sais que ce ne sont pas des adieux... c'est juste une autre page de ma vie qui se tourne, sans savoir ce que contient la nouvelle, encore blanche. D'ailleurs, notre arrêt à Edenia coïncidait avec la traditionnelle réunion annuelle des Lumières de tout Arven.
Ce dernier repas pris ensemble est plus triste que d'habitude, et je trouve les yeux de toute la troupe particulièrement brillants, et les nez un peu trop rouges... car la caravane va perdre beaucoup avec Fabien qui reste définitivement ici.
Seulement, alors que j'aide à mettre en place des tables pour le repas du soir, l'Arlequin arrive près de nous, et tous se rassemblent en faisant un silence respectueux. Il écarte les bras et tout le monde retient son souffle, moi le premier. Aujourd'hui une annonce importante va être faite : qui reprend le rôle de polichinelle de mon frère.
Chère caravane, chers artistes. Aujourd'hui est un jour particulier, car nous laissons partir Fabien, qui a joué un rôle si important dans notre caravane, et ce dès ses premiers pas. Ce n'est pas de gaieté de coeur que nous le voyons s'installer en Déméria et continuer à collaborer avec nous mais de manière sédentaire. Cependant la vie continue, et il est de notre devoir de continuer à présenter les meilleurs artistes et les meilleurs numéros. C'est pourquoi à partir de demain, et pour récompenser son investissement sans faille auprès de son frère et auprès de notre guilde, nous nommons Flavien comme nouveau polichinelle!Une seconde de blanc avant que l'information ne soit enregistrée, et les premiers cris, sifflements et hourras retentissent. On vient me prendre dans ses bras, me taper dans le dos alors que je reste immobile et stupéfait. Bien sûr une partie de moi s'attendait à cette nomination, étant celui qui est le plus au courant de ce que fait mon frère, mais l'entendre officiellement est autre chose. Je me sens soulevé du sol et jeté dans les airs sous les bravos et les rires. Puis quand on me laisse enfin regagner la terre ferme, c'est face à mon frère que je me retrouve, qui me regarde, à la fois ému et fier, avant de me serrer fort à m'étouffer. Je lui rends son étreinte alors que je sens ma gorge se nouer.
Tu vas faire un excellent polichinelle mon frère.
- Normal, tu ne seras plus dans mes pattes!De nouveaux rires, une nouvelle étreinte et beaucoup d'alcool ainsi que de victuailles. Ce jour était beau, mais j'en garde un goût doux-amer dans la bouche, car c'était à la fois un bonjour et un au revoir. Et deux jours plus tard, quand nous nous sommes remis en route, je n'ai pas caché les quelques larmes que j'ai versées en voyant mon frère et toute sa famille debout à nous faire de grands signes, alors qu'ils devraient être ici, avec moi... Mais la vie est ainsi, il a choisi son destin, et le mien est encore et toujours sur les routes à vivre de nouvelles aventures.
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