Histoire
• 14 septembre 965 • Samuel naît à Ivresonge en Sombreciel, un mois et quelques jours avant son petit frère Théophile, de l’union de Jaëlle et Ambroise, respectivement parfumeuse et artisan vitrailliste. Mais Samuel, également, est enfant de Sabine, ancienne compagne de renom ayant renoncé à son engagement et Thibalt, poète, tous les deux époux et épouse de ses parents.
Samuel est le troisième enfant à venir au monde dans ce foyer : Antoine, l'aîné, est né de Sabine et Ambroise en mai 959. Sa soeur Jordanna de Thibalt et Jaëlle en juillet 964. Théophile, le dernier, est quant à lui l'enfant de Sabine et Thibalt et naîtra fin octobre 965.
Choyé, entouré par cette cellule familiale particulièrement sensible, Samuel grandit dans une famille où se mêlent dans une harmonie typiquement cielsombroise les arts et le verbe. Leur foyer est soudé et solide... À défaut d'avoir une maison qui l'est, elle, totalement. La faute à son poète de père qu'on a chargé de la communication avec l'architecte. (Quand on parlait de la mer, c'était pour la couleur, pas pour le mur ondulé. )
•970 • Samuel est un gamin terrible. Doté de grands yeux innocents et de bouclettes qui voltigent joyeusement - dans lesquels les flocons de neige se prennent bien aisément pour le couronner de givre - il sait avec le plus grand des aplombs et un zozotement adorable dire que, non, c'est pas lui qui a dessiné un canard sur le bas du poème de papa. (Mais que, de toute manière, le texte est mieux comme ça. ) Un menteur adorable aux bêtises innocentes, dont la douceur et le faux calme ne savent que cacher une vilaine tendance à se sentir visé par tout et n'importe quoi - et à en prendre ombrage, bien entendu.
Au sein de leur cellule familiale, Samuel est particulièrement attaché à Théophile : Antoine et Jordanna sont des modèles, des "grands" qu'il aime et admire. Théophile, c'est son frère à lui - celui qu'il guide et en même temps suit, celui qui connaît ses secrets et couvre ses bêtises (ou pas), celui qui toujours aura pour Samuel une place spéciale dans son coeur.
• 975 • À dix ans, grâce aux efforts combinés et partagés de ses parents, Samuel maîtrise parfaitement l'écriture ainsi que la lecture, un bout d'histoire et les bases arithmétiques sur le bout des doigts. (Il sait même compter sans, comme un grand. )
D'un naturel - trop - intéressé en tout, il se dégage très vite qu'il ne saurait, comme son géniteur, s'épanouir pleinement dans un métier physique, aussi créatif soit-il. La création a un attrait esthétique qui plaît grandement à Samuel mais il est clair que chez lui ce sont l'intellectuel et le savoir qui priment sur le manuel.
Il est un peu précieux sur les bords, et seules trouvent grâce à ses yeux les quelques heures de musique, enseignée par Sabine à la demande du petit, qui ont l'autorisation d'user ses doigts d'enfant.
On a l'imagination fertile, à dix ans, quand on tente de deviner ce que l'on sera plus grand. Inventeur ? La question se pose, quand on voit jusqu'où son esprit pousse des raisonnements abracadabrantesques - mais ce qu'il imagine il n'aimerait pas le reproduire. Poète, comme son père ? À défaut de se consacrer au métier de son géniteur, il pourrait au moins honorer celui de Thibalt. Parfumeur, lui aussi ? Il n'a guère le nez pour.
Il est encore jeune, il a le temps. Il grandit en étoffant, lentement mais sûrement, ses talents.
La guerre, en revanche, est loin de le passionner – surtout lorsqu’elle déchire le monde dans lequel il vit. Jamais Samuel ne développera d’amour pour le combat… Et, très clairement, jamais ses parents ne chercheront à le pousser dans cette direction.
•Décembre 980 •Samuel le novateur, celui qui pense toujours plus loin et veut toujours la nouveauté, Samuel qui veut être ce que personne n'a jamais été, Samuel qui lit jusqu'à pas d'heure, Samuel qui value la beauté de la chose plus que la douleur de la réalisation, qui repeint dans son esprit ce qui ne lui plaît pas, ce Samuel-là se décide pour son avenir.
À ses quinze ans, décidé, le brun s'engage chez les compagnes, faisant ainsi de lui l'un des premiers à se lancer sur cette voie habituellement réservée aux femmes.
Il est accepté à titre d'essai, partiellement grâce à la renommée de sa mère qui l'épaule et le soutient.
• Fin janvier 981 •Malgré des débuts chaotiques, des changements de mentors désemparées face à un élève pourtant plein de bonne volonté, Samuel finit par entrer officiellement en apprentissage. Le chemin sera long, incertain : c'est là le prix à payer pour être un précurseur. La guilde ne reconnaît pas son existence, le tolère comme on tolère une exception. Il ne bénéficie d'aucun traitement de faveur ou d'adaptation : il est l'apprenti, il est la future compagne.
Il s'en fiche : il est fier de ce qu'il veut être.
Samuel se dévoue corps et âme à cette profession qui sera sienne, conscient de ce qu'il lui faudra affronter : il est né pour ça, lui l'audacieux qui toujours cherche l'inédit. Le brun se sent à sa place dans ce rôle. Né pour porter fièrement le raffinement et l'intellect en étendard, l'esthétisme en bannière et se couronner de la gloire d'être le premier des compagnons.
(Il sera celui dont tout le monde se souviendra, forcément. )
• Juin 983 • Samuel rencontre Caliban, son familier, alors qu'il est sur la fin d'une leçon dans la ville voisine. Sorti prendre l'air, la tête légère, il prétendra ne pas être surpris quand surgit de la forêt si proche une forme de nuit et d'argent. Originellement en chasse, le renard se retrouve dévié de son premier objectif quand l'adolescent et lui croisent leurs regards - un simple instant. Chamboulement. Complétion.
L'animal est précieux, autant par sa fourrure qui orne bien des vêtements que par son fichu caractère - lequel fait écho à celui du Cielsombrois, sur ce point comme sur tant d'autres.
Samuel sera fier de rentrer présenter Caliban au reste de sa famille, après l'avoir présenté à sa mentor.
• 14 juillet 984 •Samuel lui avait dit de se méfier. Aîné présomptueux du plus jeune de la fratrie, il a stupidement cru que Théophile l'écouterait, lui, son frère. Il lui avait dit, en le voyant chaque jour se rapprocher d'elle, l'avait imploré à sa manière dédaigneuse de je sais tout de ne pas se lancer dans une histoire qui ne pourrait que le détruire et bafouer un des liens les plus sacrés.
Ce qui arrive est entièrement la faute de Théophile.
Samuel est en leçon dans la maison de la guilde d'Ivresonge quand arrive en trombe un messager - suivi de murmures et de cris, là, dans la rue.
C'est votre frère, apprenti Samuel. Oui, mais lequel ?
Il ne devine pas, à la peur qui teinte le regard de l'homme en face de lui, qu'il n'y en a déjà plus qu'un.
Venez juste.
Dans la rue il croise les regards désolés de chacun - qui ne connaît pas l'apprenti compagne ? - et les murmures sur son passage se répandent comme si de sa course il libérait la parole, fendait le silence.
Il cauchemarde encore de cette scène chaque nuit. Le sang de son aîné, torrent de pourpre et d'écarlate dont la violence a éclaboussé Théophile. Les mots qui résonnent, portés par le chef du guet et par Théophile - sa voix si brisée, sa stupeur, ses larmes peut-être.
Et ses parents, alertés, arrivés après.
Oh, ses parents...
Les mots ne servent même plus, à un moment.
On emporte le corps d'Antoine.
Les frères de Samuel disparaissent ensemble, ce jour-là.
• Septembre 985 • Samuel reçoit des nouvelles des autres maisons de la guilde en Sombreciel avec plaisir, surtout lorsqu'on vient lui annoncer qu'à l'autre bout du royaume un autre homme s'est engagé sur la même voie que lui.
Il sera le premier, celui qui a lancé l'idée.
Il n'empêche que sa fierté, sa foutue fierté (orgueil demesuré) se réjouit de savoir que d'autres viennent à l'imiter. Il redouble d'efforts : il ne doit pas décevoir.
• Mai 986 • Le Cielsombrois n'est pas simplet : il sait qu'à Ivresonge et dans les alentours, il ne pourra jamais vivre de sa profession. Une demande de mutation future part pour la maison des compagnes d'Euphoria : à condition que Samuel termine sa formation - et il la terminera -, la gouvernante lui promet une place dans le centre névralgique de leur guilde en Sombreciel.
Jordanna, sa fidèle soeur, l'aide à amener l'idée de son départ auprès de leurs parents. Il passe l'année à les préparer à l'idée, regrettant tout de même de laisser derrière lui les personnes qui comptent le plus dans sa vie... Et qui, encore, souffrent tant.
Le nom d'Antoine est dans chaque regard vers sa porte de chambre close, dans chaque vers de Thibalt, dans chaque sourire, chaque geste, chaque instant. Deux ans plus tard, son essence encore imprègne la maison, et Samuel craint que ses parents ne souffrent trop de vivre ainsi, seuls. Il est trop simple de voir des souvenirs en les ombres.
• Septembre 987 •Samuel, compagne certifiée, déménage definitivement pour Euphoria. Ses parents se refusent à quitter Ivresonge. Il reviendra les voir aussi souvent que son emploi du temps, de plus en plus chargé au fil des années, le lui permettra. Une lettre par ci, un colis par là : Samuel tient au courant ses parents autant que sa soeur de son intégration au sein de la déstabilisante et merveilleuse capitale.
Il change de nom peu après son arrivée : un nom brûlant, un nom qui marque. Quelque chose qui se murmure plus qu'il ne se prononce.
Les premiers mois sont compliqués : la nouveauté toujours attire et intrigue - surtout ici - mais il faut réussir à intégrer au sein du mécanisme le nouvel élément qu'est Samuel. Les demandes finissent par arriver, au compte-gouttes d'abord, puis de plus en plus nombreuses.
• Décembre 990 •Fin 990, le carnet de rendez-vous du jeune homme est plus que rempli - ils sont beaucoup à parler de la compagne Samuel dans la capitale. Jeune homme enjoué, philosophe à ses rares heures perdues, il fait honneur à la profession qu'il a embrassée il y a de ça bientôt dix ans. Ses collègues et amies - pour la plupart - reconnaissent en lui un ami précieux ; tout comme elles le décrivent susceptible et narcissique sur les bords, beaucoup trop obsédé par l'envie de faire ses preuves. Comment pourrait-il en être autrement ?
Il doit être le meilleur. Le premier, à défaut d'être l'unique. Son ambition marque sa vie : il rêve d'un destin grandiose et d'une vie de succès. Que son nom soit reconnu par-delà les frontières et les ans, d'une gloire immortelle.
Restés à Ivresonge, ses parents sont fiers de lui, comme en témoignent les lettres qui vont et viennent régulièrement entre les deux villes.
Il profite d'ailleurs de ses envois réguliers à sa famille pour passer commande auprès de sa mère et de sa soeur : il ne veut porter sur lui que leurs créations, et ne manque pas de laisser traîner ici et là leur nom, histoire de.
• Juillet 993 •Samuel prend la direction de la maison des compagnes d'Euphoria, plébiscité par la gouvernante se retirant et par ses collègues. Son carnet de rendez-vous s'allège, s'organise : ne restent que ceux qui, potentiellement, sont bien plus intéressants pour leur guilde - et qui évoluent dans les hautes sphères de la société. Organisé et méthodique quand il le veut bien, le Cielsombrois se dévoue pleinement à sa nouvelle tâche.
Anecdote du jeune quasi-trentenaire : dans le trousseau remis par la dame l'ayant précédé, de gouvernante à gouvernante, on retrouve traditionnellement quelques parures et tenues, dans un code bien défini... Et il serait malaisé de déroger à la règle.
Disons donc que Samuel porte très bien le voile - une fois qu'il a compris comment le mettre, avec l'aide de ses amies. (en justifiant que "Le paquet est à destination de la gouvernante, c'est mon voile. " ) Il porte également bien les jupes, par pur plaisir personnel, et clame depuis ce jour que la seule chose qu'ont de bien les Ansemariens dans leur culture ce sont leurs kilts.
Il profite de son nouveau statut pour, dans les années suivantes, faire de Jordanna la fournisseuse officielle de sa guilde à Euphoria en tout ce qui concerne les parfums... Entre autres.
• Janvier 997 •C'est une chose de compter au rang de ses clients les comtes et baronnes de Sombreciel, et toute une autre que d'y ajouter le polyarche même de la nation. Samuel est honoré et ravi de cette relation, d'abord épisodique, qui lui permet doucement mais sûrement de se faire une place certaine au sein de Sombreciel. La gouvernante est plus que flatté dans son égo lorsque les rendez-vous se font réguliers. Les deux Cielsombrois s'entendent bien - Samuel n'a pas à se forcer pour lancer une conversation ou la maintenir comme il a du, certaines fois, le faire par le passé. Chaque rencontre, peu importe sa finalité, est un véritable plaisir.
Quand un si prestigieux client devient régulier à sa manière, il y a forcément des répercussions. Samuel est noyé sous les demandes et les invitations des nobles désireux d'imiter leur souverain. La compagne se délecte de cette situation, malgré la charge de travail conséquente : on le connaît, on l'admire. L'ambitieux Samuel ne peut qu'aimer cette lumière qu'on jette sur lui.
Il ne tentera pas de remettre la main sur Théophile, durant toutes ces années. Malgré les informations qui passent par lui, bien nombreuses, il se refuse catégoriquement à seulement rétablir le contact. Théophile est mort avec Antoine, il y a de cela treize ans.
C'est mieux ainsi.
• Décembre 999 •La dame d'Euphoria se retire. Samuel, à sa propre surprise, se retrouve nommé à sa place. Le Cielsombrois a bien du mal à y croire, mais il prend avec honneur et excitation le titre de dame d'Euphoria.
C'est une nouvelle ère pour leur guilde. Il sait, de source sûre, qu'une poignée d'apprentis sont formés en tant que compagnes. Le monde change. Et, fasciné, Samuel se sait être un acteur de ce changement. Le regard tourné vers l'avenir, toujours.
Un avenir qu'il marquera de son nom.