Monsieur le professeur, j'aurais une question

Ton désir de rendre fier Bertin est très certainement ce qui te fait avancer dans la vie de tous les jours et te permet de progresser rapidement en cours, ce qui m’étonne toujours.  J’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi tu le portes en aussi grande estime, plus encore même que Pénélope alors qu’ils sont tous les deux tes protecteurs l’un tout autant que l’autre.  Peut-être parce que c’est lui qui t’a tirée d’entre les griffes de ta tante?  C’est un sujet que tu n’aimes pas aborder, même avec moi.  Je ne pousse jamais dans ce sens-là non plus, car je peux sentir combien tu es inquiète seulement à la mention de cette femme, guettant toujours son pas, la crise sur le point d’éclater.  Concentrée sur tes devoirs, tu ne remarques même pas que tu ne trempes pas ta plume dans l’encrier et pas même une instant tu ne songes à lever les yeux pour vérifier.  Heureusement, je le pousse légèrement lors de ta troisième tentative et voilà que tu peux recommencer à noircir ton parchemin.  Si tu veux mon avis, ton oncle doit être extrêmement fier de toi, il suffit de voir avec quel sérieux tu t’attaques à tes études pour être touché par tes efforts.  Je suis certain que Bertin ne demande pas plus de toi, même qu’il n’exige rien de la sorte pour ta réussite, seulement ton bonheur.  Ça me semble être une bonne personne que ce monsieur, pour ce que j’ai pu observer en-dehors de ce que tu m’as raconté.  Non loin de la source de lumière, je finis par m’endormir, pas que te regarder étudier m’ennuie, mais le désoeuvrement un peu oui, lui.

Je me réveille en sursaut quand je t’entends fourrager avec grand bruit dans tes affaires.  Qu’est-ce qui se passe encore?  Je peux sentir ton inquiétude et ton stress.  Pas bon signe.  « Lilian? » couiné-je pour attirer ton attention.  Tu sursautes en m’entendant, comme si tu es étonnée que je te parle, ou même que je sois là.  Une mine coupable s’affiche sur ton visage.  « Désolée Mistral, je ne voulais pas te réveiller…  J’ai perdu mon devoir et le professeur Belorme m’attend… »  Ah, c’était donc ça.  C’est vrai qu’aujourd’hui le professeur t’attend pour une leçon extracurriculaire.  La défense et tout ça, c’est un surplus que tu prends, parce que mage des portails, ce n’est pas ce type de magie qu’on utilise.  Toutefois, tu veux pouvoir en savoir rien qu’assez pour te défendre, pour avoir le temps de fuir le danger, parce que jamais tu ne serais assez douée ou forte pour vraiment te battre, c’est un fait.  Je le comprends bien, et c’est bien gentil au professeur de t’aider en plus en-dehors des heures de cours.  « Panique pas, on va le retrouver!  »  Je m’étire, pour mieux me tirer du sommeil et je remarque que j’était couché sur un morceau de parchemin.  Je l’ai un peu taché avec mes pattes, j’ai dû me renverser de l’encre dessus en poussant l’encrier plus tôt. Mais… Oh!  « Lilian! Je crois que c’est lui! »

Tu t’approches rapidement et je m’écarte rapidement pour te laisser voir.  « Ah oui! C’est lui! » t’exclames-tu avec soulagement.  Tu le glisses dans ta besace avant de me soulever.  « Mais Mistral, qu’est-ce qui est arrivé à tes pattes pour quelles soient noires comme ça?  On te les lavera plus tard, je vais être en retard! »  Je n’ai pas le temps de répondre que je suis déjà dans la besace avec le reste de tes effets et tu quittes ton dortoir à la course pour rejoindre le bureau du professeur Belorme.  Avec quelques minutes de retard, tu toques à la porte, le souffle court d’avoir couru jusque là.

Encore une journée de cours qui touche à sa fin. Je ne vois pas les heures passer. Les élèves sont attentifs, surtout lorsque je fais un peu de pratique. Je suis de ceux qui prônent l'exercice plutôt que la simple théorie. Comment enseigner le combat avec de simples livres ? Certes, ils sont utiles pour tout ce qui est stratégie, histoires sur des expériences passées et exemples d'incantations utiles. Mais je ne vois pas en quoi un simple livre peut aider un jeune mage à sentir et à contrôler pleinement son énergie pour donner tout ce qu'il a. Mais cela ne m'empêche pas de pousser mes élèves à réfléchir. L'énergie magique, c'est bien, mais avec une tête bien préparée c'est encore mieux. Assis à mon bureau, je corrige donc des rédactions sur le maniement des mots en plein combat. Je manque d'éclater de rire devant les mots d'un élève qui prône l'herbe à tabac pour se détendre avant le combat. De toute ma vie, je n'ai jamais touché à cette plante, et je compte continuer ainsi.

Fengo est confortablement installé dans son coin de verdure. Mon bureau est vraiment à notre image. Petite forêt pour Fengo, aux arbres dont les feuilles poussent à toute vitesse pour lui fournir de la nourriture à volonté. Pour ma part, j'ai ma bibliothèque, un espace où ranger et traiter les gemmes magiques, une cible d'entrainement roussie, et un confortable bureau où il ne me dérange pas de passer de longues heures à travailler. Le cerf s'étire et se redresse. Il attrape quelques feuilles qu'il mâche lentement, le regard rivé sur moi. Je me demande ce qu'il me veut.

"- Mon frère ?

- C'est triste. Tu en es arrivé au point d'être satisfait de passer ta fin de journée à corriger des travaux d'élèves. Le monde t'attends dehors, et toi, tu es là, seul, comme tu l'as toujours été.

- Je ne suis pas seul mon frère, je t'ai toi.

- C'est différent de cette autre solitude qui te ronge. Je la ressens aussi mon frère, et je n'aime pas ça. Tes congénères, à cet âge, ont déjà eu plusieurs portées de petits, parfois même avec plusieurs femelles. "

Je finis par lever les yeux vers le cerf qui attrape une autre poignée de feuilles. Je sais qu'il s'inquiète pour moi, et il n'hésite pas à me le rappeler de plus en plus souvent. Mais que puis-je contre ça ? L'amour ne vient pas comme ça. Je ne suis pas un cerf dont la ramure suffit à impressionner les femelles et repousser les mâles… Je réfléchis, à quand remonte ma dernière relation stable avec quelqu'un ? Plusieurs années, pour sur. Combien ?... Je ne sais pas. Je ne compte pas les rencontres d'une nuit, cela ne servirait qu'à miner encore plus mon moral. Je jette un regard glacial au cerf qui a réussi à me rendre aussi morose. Il n'a pas tort, mais j'aurais aimé qu'il s'abstienne de me parler de ça alors que j'ai du travail. Fengo m'ignore royalement. Il sait qu'il a eu raison et qu'il ne peut rien se reprocher. Je soupire et retourne à mes copies… Avant de les ranger. Bah ! Je ferais cela plus tard. Les élèves peuvent bien attendre une journée de plus avant d'avoir des résultats. Et puis, c'est bientôt l'heure de recevoir la visite d'une élève ayant besoin de cours supplémentaires.

Lilian est vraiment une élève à part. Je n'ai jamais vu une jeune fille ayant un désir aussi fort de faire ses preuves, même dans les domaines où elle est faible. Le combat en fait partie. Elle a pour ambition de devenir mage des portails, et je ne peux que l'encourager à cela. Ils sont vraiment très utiles à notre société. Mais, au moins, elle a compris que la défense et l'attaque sont primordiaux pour s'en sortir dans ce vaste monde. Un portail ne pourra toujours pas la sauver d'une boule de feu. J'ai accepté de lui donner ces quelques leçons supplémentaires pour l'aider à cela. Je sens bien que, pendant les essais en entrainement, elle n'est pas très virulente, et j'ai ma petite idée pour remédier à cela. J'ai connu quelques élèves comme elle, qui refusent de se battre et préfèrent négocier ou fuir et croyez moi que j'ai bien fini par leur donner une certaine motivation.

Je jette un coup d'œil à mon horloge. Elle ne va pas tarder à arriver. A l'instant où je me dis cela, j'entends que l'on toque à ma porte. D'une voix forte, je dis : Entrez !. Quand la porte s'ouvre, je vois apparaitre la petite Lilian, toute essoufflée d'avoir couru pour ne pas arriver en retard. Je décide d'ailleurs de ne rien lui dire, elle a au moins fait l'effort de se dépêcher. Fengo s'approche de moi, et baisse la tête pour que je puisse flatter son encolure, ce que je fais sans quitter des yeux la jeune fille. Je vois dans sa besace l'adorable petite tête de son familier… Heu… Comment s'appelle t'il ?

"- La boule de poils mangeuse de salade qui couine ? C'est Mistral."

Je remercie Fengo en pensée et accueille Lilian d'un sourire, je dis alors :

"- Lilian, Mistral, entrez donc. Je vous attendais. Si Mistral a un petit creux, il peut aller se restaurer dans le coin de Fengo, il y en a largement assez pour deux. " Je me lève et contourne le bureau pour attraper mon pourpoint d'entrainement. Je reprends :"- Prends le temps de souffler, Lilian. Nous irons dans la salle d'entrainement d'ici quelques minutes. Le temps de rassembler un peu de matériel..."

Pourpoints, protèges bras, cibles en papier. Cela devrait suffire pour nous deux, il y a déjà des mannequins d'entrainement dans la salle. Cependant, ils ne seront utiles qu'au début. Je compte pousser Lilian à s'entrainer sur une cible vivante, et quoi de mieux qu'un professeur pour apprendre à donner le meilleure de soi même en combat ?

Je sens que tu es un peu nerveuse quand le professeur Belorme t’ouvre la porte, mais il ne semble pas du tout impatient ou indisposé que tu l’aies fait attendre, même au contraire il me paraît plutôt trouver que tu n’es pas en retard.  Tu entres donc dans son bureau, prête pour ta leçon.  Je l’aime bien ce monsieur moi, parce qu’il prend même la peine de me saluer aussi et je crois que ma petite taille fait souvent en sorte qu’on m’ignore.  Par contre, il est tout de même hors de question que je me restaure dans le coin de Fengo.  Les cerfs et les cochons d’inde, ça ne mange pas du tout la même chose!  Mais je m’abstiens de le lui préciser, parce que je sais que c’est très important pour toi qu’il t’offre ces leçons extracurriculaires et je ne voudrais pas qu’une impertinence de ma part t’en prive.

« Bonjour professeur Belorme, merci de m’accorder de votre temps, » réponds-tu à sa dernière remarque.  Tu me sors de ta besace et me pose délicatement sur le coin feuillu du Familier du professeur tandis qu’il prépare le matériel dont vous aurez besoin pour ce petit cours privé.  Je crois que tu auras droit à un cours pratique ma petite, et tu t’en rends bien compte toi aussi, ce qui te rend un peu nerveuse.  De façon générale, tu es pour les examens théoriques une excellente élève, tes professeurs sont très fiers de tes résultats, cependant quand vient le temps de faire des enchantements…. Eh bien, la plupart du temps tu t’en sors bien.  Mais tu sais que tu n’es pas à l’abri d’une crise non plus ce qui fait qu’en général tu préfères te contenter d’incantations plus courtes, ce qui te met un peu plus à l’abri d’un caffouillage catastrophique.  Tu t’attendais à peut-être une petite révision avant de passer à la pratique, mais visiblement ce n’est pas l’intention du professeur.

« Vous n’allez pas vérifier d’abord si j’ai bien révisé? » demandes-tu d’une petite voix un peu inquiète quand tu vois tout ce qu’il prépare.  Tu sais bien que le combat et la défense ne sont pas vraiment des arts qui s’étudient très bien uniquement pour la théorie, mais quand même…  Tu préférerais revoir un peu sur le papier avant d’appliquer ce que tu connais.  Les sorts de combat en vérité devraient être plus faciles pour toi, on ne peut pas tisser de longs enchantements dans ces moments-là, il faut savoir être précis et concis, et ça c’est un talent de mage que tu as, le soucis c’est le stress qui t’empêche de penser et de réagir et qui pourrait à tout moment te jeter dans une crise.  D’où l’importance de ces leçons en fait, parce qu’elle te prépareront à te protéger en cas de danger.  Tu ne pourras pas toujours compter sur les autres pour ce faire.

Le professeur Belorme semble bien décidé en tout cas à poursuivre dans la salle d’entraînement et tu n’as pas vraiment trop d’autres choix que de lui emboîter le pas lorsqu’il quitte son bureau une fois tout le matériel rassemblé. Ça ira Lilian, ne t’en fais pas…. Moui… Tu viens pas Mistral?  Non, je vais rester ici.  J’évite de préciser que c’est parce que je n’ai pas envie d’être le dommage collatéral d’un sort qui part en couille.  J’ai confiance en toi.  La plupart du temps.  Mais je préfère qu’un adulte soit le seul à risque.  Après tout, le mage a de l’expérience derrière lui, il saura s’en sortir si tu dérapes.

Fengo regarde la jeune fille déposer son familier sur le tapis de feuilles qui compose son coin de verdure. Il a toujours toléré sans trop de mal que des familiers herbivores viennent sur son territoire, tant qu'il reste le seul cerf. Je me rappelle une fois avoir croisé une jeune femme avec un jeune cerf pour familier, Fengo, dont la ramure était au plus haut, n'avait pas manqué l'occasion d'impressionner son jeune congénère. Heureusement que la saison des amours était encore loin, car je n'aurais pas pu empêcher l'affrontement, s'il devait y en avoir un. Heureusement, je sais d'expérience qu'un cerf ne se permettrait jamais d'affronter un autre mâle plus fort que lui. La survie importe plus que la gloire. Enfin bref, je m'éloigne du véritable sujet. Mistral reste donc sur le tapis de feuilles, et je me demande alors distraitement si les feuilles d'arbres font partie de son alimentation. Fengo me souffle qu'il ne sait pas, mais il n'a pas l'air très emballé par la nourriture présente à ses côtés. Je demande donc à mon cerf de rester avec lui, et de lui faire quérir quelque chose qui soit plus à son gout. Mon familier me réponds de ne pas m'inquiéter, et sur ces mots, je sors en compagnie de Lilian, qui semble très nerveuse.

La jeune fille, tout en m'emboitant le pas, me demande si je veux vérifier qu'elle connaissait bien ses leçons. Je ralentis pour marcher à ses côtés et la regarde avec un petit sourire. C'est bien le problème avec elle. Excellente en théorie, mais en pratique c'est une autre histoire. Elle donne tout ce qu'elle a pour réussir, mais il y a un petit quelque chose en elle qui fait qu'elle ne peut exceller en enchantement, surtout en matière de combat. Le stress que peut apporter une bataille n'a jamais eu de très bons effets sur elle, et ce n'est pas faute d'essayer d'imaginer des situations pour l'encourager à se défendre un peu plus. Mais je pense avoir quelques idées pour ce cours là. Je me suis un peu renseigné sur elle, sur sa famille, notamment. Je pense pouvoir l'aider à débloquer ce quelque chose qui la gène pendant les cours de pratique. Espérons juste que cela fonctionne. Je lui souris donc et lui réponds :

"- Oh, je sais que tu as bien révisé, Lilian. Tes notes en théorie sont excellentes, et tu n'es pas du genre à oublier des leçons apprises, je me trompe ?" Je regarde droit devant moi et, avec un sourire en coin, j'ajoute : "Néanmoins, si cela peut te rassurer avant que nous commencions, tu peux toujours m'énoncer les différentes règles de sécurité appliquées lors de la pratique d'enchantements… C'est toujours utile de les connaitre et de les comprendre avant de se lancer dans un entrainement, ou dans un combat réel."

Nous marchons un moment, arpentant les couloirs de l'académie, avant d'arriver dans la salle d'entrainement. Je l'aime bien, cette salle. On y sent que des générations d'élèves ont fait leurs premiers enchantements ici, ce lieu respire toute l'histoire de leurs efforts. Moi même j'ai fait naitre mes premières flammes ici. J'ai manqué d'ailleurs de mettre le feu aux bottes d'un ami. Je laisse échapper un soupir satisfait. Enseigner dans ces lieux chargés d'histoires est un immense privilège pour moi et je ne peux m'empêcher de me sentir redevable à l'académie de me permettre de le faire. Je dépose mon équipement et commence à enfiler mes protections. Rien de bien méchant, je ne veux pas effrayer Lilian en revêtant une armure complète, juste de quoi protéger mes bras et ma poitrine. Je tends également à la jeune fille les mêmes éléments, puis, pendant qu'elle s'équipe, formule une brève incantation pour faire naitre une flamme dans ma main.

La flamme, chaude et rassurante, occupe toute ma paume et s'élève jusqu'à quelques centimètres au dessus de mon majeur. Les doigts légèrement repliés, comme pour la protéger du vent, je réfléchis tranquillement, Fengo me souffle qui m'a emprunté quelques pommes de ma réserve personnelle, pour un encas, et je lui réponds de toutes les prendre s'il le faut. Nous en aurions pour un moment, et je ne veux pas laisser Mistral avoir faim, s'il peut manger de la pomme. J'ai toujours un petit panier à pommes sur mon bureau, c'est mon petit péché mignon, et Fengo aime bien prélever sa part de temps en temps. Je quitte la flamme des yeux pour me tourner vers Lilian, je tends le bras pour lui montrer la flamme et lui demande :

"- On va commencer par quelque chose de simple. Je ne vais pas te demander de m'attaquer ou de te défendre d'une attaque. Du moins pas tout de suite. Je vais te demander de faire naitre une petite flamme, comme celle-ci, et de la maintenir dans ta main sans faire bruler quoique ce soit. C'est important de savoir formuler la bonne incantation et de bien savoir gérer son énergie pour obtenir ce résultat. Une fois que tu auras fait cela, nous passerons à l'attaque sur cible fixe, puis sur cible vivante, et enfin, à la défense, s'il nous reste du temps. "

Je ne sais pas combien de temps Lilian veut s'entrainer. Pour ma part, je m'en fiche, ce n'est pas un cours extrascolaire qui va m'empêcher de passer une bonne soirée, au contraire, ça va l'occuper. Je préfère que les élèves prennent plus de temps pour bien comprendre plutôt que de bâcler l'entrainement et risquer un accident.

La louange devrait certainement te faire plaisir, pour une raison mystérieuse, elle t’inquiète plutôt.  Tu te serais attendue à ce que vous revoyez un peu la matière avant tout, car tu es bien convaincue qu’une maîtrise parfaite de la théorie saura te redonner confiance, suffisamment en tout cas pour appliquer en pratique.  Comment être efficace sans connaître parfaitement ce qu’on fait?  Tu me l’as répété cent fois.  Tu pousses un léger soupir de soulagement quand il suggère de tout de même vérifier si tu as bien appris ta leçon.  Enfin, c’est un début, parce que tu te serais tout de même attendu à ce qu’il te question sur quelque chose d’un peu plus pointu, tu connais très bien les règles de sécurité, après deux ans à l’académie… il aurait vraiment étonnant que le contraire soit vrai.  Puis… Tu réalises enfin qu’il te parle de combat réel et une légère panique vient faire battre ton coeur à la chamade.  Il ne va tout de même pas te demander de l’affronter en duel, n’est-ce pas?  Calme-toi Lilian, le professeur Rodrigue ne fera rien qui pourrait te mettre en danger.  Tu dois lui faire confiance si tu veux apprendre.  C’est bien pour ça que tu lui as demandé cette leçon extracurriculaire, non?  Oui, mais… je ne peux pas faire ça, je ne suis pas capable, je ne suis pas prête, je… Lilian, ça suffit.  Si tu paniques avant même de commencer, c’est pas gagné.,  Je ne te sens pas exactement très calme, mais je crois que tu as compris et tu récites au professeur les différentes règles de sécurité sans en oublier une seule.  C’est bien la Lilian que je connais maintenant.  Cela semble te redonner un peu de courage et c’est très bien.

Vous arrivez finalement dans la salle d’entraînement, vide à cette heure.  C’est curieux comme c’est différent de quand toute la classe s’y trouver, à s’y exercer!  Quand le professeur Belorme te tend de l’équipement de protection, tu l’acceptes, légèrement tremblante, de plus en plus convaincue que les choses risquent de mal tourner.  Mais toujours aussi docile que ta nature souple l’oblige, tu enfiles les protections en silence, sans protester autrement que dans ta tête.  Ça va bien aller, détends-toi.  Les consignes du professeur sont d’ailleurs assez simples.  Faire une flamme, c’est quelque chose que tu as déjà appris, tu devrais pouvoir t’en sortir assez facilement.  Si tu arrives à prendre sur toi et à te calmer parce que là, ton anxiété risque de provoquer une crise.

« Oui monsieur, » réponds-tu la voix tremblante.

Tu fermes les yeux un instant pour te concentrer sur le flux de magie qui coule en toi.  Tu imagines dans ta tête ton incantation et tu inspires profondément, dans une dernière tentative de te calmer complètement.  Mais les propos de Rodrigue Belorme sur le plan de cette leçon te reviennent en tête et tu sens tout courage t’abandonner.  Attaquer une cible vivante… Tu n’es pas capable de faire ça.

Le premier vers de ton enchantement se passe sans encombre, jusqu’à ce que tu attaques le second.  Dans la panique, ta phrase ne fait aucun sens et même si tu sais qu’il ne faut pas essayer, tu tentes tant bien que mal de contrôler tes tics, de détendre les muscles de ton visage alors qu’ils essaient de se crisper.  Mais c’est peine perdue.  Avant même que tu aies terminé de jeter ton sort… tu te retrouves en pleine crise.  Et je ne suis pas là pour t’aider.  Je ne pensais pas que ça arriverait aujourd’hui, tu étais si confiante de réussir cette leçon.  Tes tics s’accompagnent de bruits, tu souffles bruyamment avec ton nez, comme si tu es sur le point d’éternuer.  Lilian, respire, doucement, ça va bien aller.  Je préviens Fengo qu’il faut te donner un peu de temps, pour que tout revienne à la normale.  Il pourra avertir son humain, lui laisser savoir qu’il faut calmer ton anxiété en t’accompagnant et en ne montrant aucun signe d’impatience.

Une flamme, une simple flamme, cela ne devrait pas être trop difficile pour commencer. C'est un simple exercice de base, permettant à l'élève d'apprendre à incanter et à contrôler son énergie pour obtenir une flamme ni trop grosse, ni trop faible. Mais je sens que quelque chose ne va pas avec Lilian. Je l'ai sentie légèrement rassurée quand elle m'a récité toutes les règles de sécurité, qu'elle connait sur le bout des doigts, mais il y a autre chose. Je sais, à force de le voir pendant mes cours, que la pratique n'est pas son point fort, mais j'ai mis ça sur le fait que c'était les autres élèves qui la déconcentraient, qui la rendaient nerveuse. Maintenant que nous sommes seuls, je vois qu'il n'en n'est rien. Quand je lui demande de créer la flamme, sa voix tremble quand elle me réponds. Je lève un sourcil, mais décide de passer là dessus et lui énonce le programme de ce cours supplémentaire. Je n'aurais jamais du. Elle commence à incanter, et je suis même assez satisfait par son premier vers. Elogieux, sincère, voilà ce qui plait aux dieux. Mais quand elle attaque le second, je vois son visage se crisper, de multiples petits tics apparaitre. Elle est en train de perdre le contrôle d'elle même ! Je reste quelques secondes sans savoir que faire quand la voix de Fengo résonne dans ma tête :

"- Mon frère, aide la petite, la boule de poils qui couine vient de me dire qu'il faut lui laisser du temps, ne la brusque pas !

- Je n'en avais pas l'intention mon frère. Rassure Mistral, je m'occupe de Lilian, elle n'a rien à craindre avec moi."

Fengo s'exécute. Pendant ce temps, je fais disparaitre ma propre flamme et m'approche doucement de la jeune fille. Je pose mes mains sur ses épaules, dans un geste doux, et la regarde droit dans les yeux. Je lui dis sur un ton qui se veut le plus rassurant possible :

"- Ne t'inquiète pas Lilian, ce n'est pas grave, je suis là. Nous prendrons tout le temps qu'il faudra." Je souris et reprends : "- Le jour où un de mes élèves échouera n'arrivera jamais crois moi. Tu es une élève pleine de qualité, comme j'en ai rarement vu depuis que je suis ici. J'ai confiance, je sais que tu en es capable. "

Je la laisse se calmer et décide de lui servir un verre d'eau. Heureusement que j'ai veillé à en avoir, ça peut donner soif d'incanter. Je me dis que cette séance ne sera pas de tout repos, si Lilian panique à chaque instruction. Plusieurs cours supplémentaires vont être nécessaires pour qu'elle prenne totalement confiance en elle. Je ne demande pas à ce qu'elle devienne, comme moi, un combattant, mais juste qu'elle sache un minimum se défendre contre ce qui peut lui arriver dans la vie. Quelques sorts de base, rien de plus. Je ne vais pas lui demander à faire des explosions... Quoique... Non ! Pas tout de suite. Déjà, la flamme, ça peut suffire, parfois, à dissuader un homme seul, dépourvu d'énergie magique. Tu as vu, je sais faire une flamme, alors dégage ! Ca peut marcher... Parfois.  Je reviens vers Lilian et lui tends doucement un verre d'eau. Je lui dis avec un sourire confiant :

"- Nous reprendrons quand tu le souhaiteras, ne t'inquiète pas, pour cette séance, nous resterons sur quelque chose d'assez tranquille. Je ne veux pas te presser, nous avancerons à ton rythme. Si tu as la moindre question, n'hésite surtout pas, je suis là pour ça. "

Après tout, c'est mon travail de veiller à ce que les élèves réussissent. Je ne tiens pas à être responsable de l'échec de l'un d'entre eux. Fengo me souffle que la partie est quand même loin d'être gagnée, je le rassure en lui disant que j'ai quelques idées pour motiver mon élève à donner le meilleur d'elle même, en espérant ne pas déclencher d'autres crises. Je demande à mon cerf de se renseigner auprès de Mistral sur ces crises, si elles arrivent souvent, et, s'il veut le dire, qu'elle sont leur origine. Plus j'en saurais, et mieux j'apprendrais à les appréhender. Je ne tiens pas à passer toutes mes séances à calmer Lilian, où elle ne progressera jamais. Il faut que j'avance à tâtons, tout en évitant de lui faire peur et de la rendre nerveuse. Cela ne sera pas facile, le combat est déjà quelque chose d'assez effrayant. Je me demande si faire passer le combat pour autre chose pourrait aider la jeune fille ?

La petite boule de poils qui couine?  Je ne suis pas une petite boule de poils qui… Ah et non! Pas le temps de tenir tête à ce gros quadrupède trop nourri et confortable.  Tu as déjà du mal à te concentrer sur mes consignes pour te calmer, si je rajoute aussi mon indignation causée par le familier de ton professeur, ça va pas bien se passer.  Au moins, le message est passé et Rodrigue prend son rôle au sérieux.  Du moins, selon les dires du cerf.  Mais je sais que tu fais confiance au professeur Belorme, alors je ne m’inquiète plus autant.  Il saura t’aider, j’en suis sûr. Nos efforts combinés triompheront. Mes paroles se veulent réconfortantes et le soutien sans faille de ton enseignant combiné à elles semblent arriver à te calmer enfin.  Tu es encore tremblante, ton incantation aurait rapidement pu tourner au désastre et c’est avec beaucoup de reconnaissance que tu acceptes le verre d’eau de que t’offre Rodrigue.  De prime abord, tu le tiens seulement entre tes mains crispées, sans le porter à tes lèvres puis, lentement, tu le soulèves pour prendre une petite gorgée.  Toute petite.

Tu as honte.  Je le sais, je le sens.  Lilian, ce n’est pas ta faute.  Tu ne contrôles pas ça. J’essaie de te réconforter, mais je sais que ce n’est pas suffisant.  Tu penses encore parfois à ta tante qui t’enfermais dans le placard suite à tes crises.  Tu as encore peur qu’elle ne mette sa vieille main griffue sur toi pour te faire du mal.  Est-ce que le professeur t’en voudra?  Te trouvera-t-il monstrueuse ou possédée par quelque mauvais esprit?  Un regard timide vers lui te rassure un peu : son visage est bienveillant et il semble se soucier de ton bien-être.

« Je suis désolée de vous décevoir professeur, » balbuties-tu, même s’il t’assure que ce n’est pas grave.  Tu ne peux t’empêcher de t’en vouloir un peu.  Les larmes te montent aux yeux. Le professeur Rodrigue est tellement généreux de te donner de son temps ainsi et de ne pas se fâcher de ton manque de talent.  Il ne prend même pas ton cafouillage pour un manque de sérieux.  J’ai bien envie de te réconforter et de te dire qu’il n’y a pas que Bertin pour t’encourager.  Que le monde entier n’est pas contre toi et ta condition.  Mais je suis occupé ailleurs.  Le brouteur d’herbe me demande ce que tu as et je lui explique qu’on ne sait pas trop.  Que depuis l’enfance tu es sujette à ces crises qui affectent ton langage en te faisant bégayer et qui te paralysent sous le coup des tics nerveux qui se déclenchent sans que tu ne puisses les contrôler.  Les crises sont beaucoup moins fréquentes que lorsque tu étais enfant, c’est vrai.  Je pense que je contribue pour beaucoup là-dessus, mais je ne saurais le garantir.  Normalement, tu es capable de faire une boule de feu, mais c’est l’idée de ce qui viendrait après qui t’a fait paniqué. L’idée de l’inconnu et de la nouveauté.  Ce que je trouve toujours ironique quand je pense que tu veux voyager et voir le monde.  C’est pour ça que tu veux devenir mage des portails.

« Monsieur.  Croyez-vous vraiment qu’une personne comme moi puisse devenir mage?  Alors que je n’arrive pas à parler clairement dès que je me sens angoissée? » soupires-tu.  Parfois, tu te le demandes.  Même souvent en fait.  En t’inscrivant à l’Académie, tu étais pleine d’espoir et de motivation.  Aujourd’hui encore, tu travailles durement.  Pour rendre fier de toi Bertin.  Mais il arrive que l’abattement se fasse sentir et que tu te demandes si tu n’étais pas un peu trop optimiste à l’époque de croire que c’était possible.

Lilian est une fille ma foi bien courageuse. Fengo me rapporte les explications du familier de la jeune fille, et je sens mon admiration augmenter à son égard. Elle n'a pas eu une vie facile et, pourtant, elle refuse d'abandonner. Je sens qu'elle manque encore beaucoup de confiance en elle, et cela ne fait qu'amplifier ma motivation. Je vais l'aider, contribuer à faire d'elle la mage des portails qu'elle rêve de devenir. L'entrainement sera peut être long, mais cela ne m'effraie pas. Reste à savoir si elle se sent prête à me faire confiance. Elle a le choix après tout. Je ne suis pour elle qu'un professeur, dans une matière qu'elle ne va jamais étudier en profondeur. Si elle accepte mon aide, ce ne sera uniquement que pour du soutien moral et pour des cours en combat. Mais cela sera peut être suffisant, venant de ma part. Elle doit bien avoir des amis, des gens qui pensent à elle et qui l'aiment. Si ce n'est pas le cas... Et bien, elle sait sur qui elle pourra compter.

Elle accepte mon verre d'eau avec reconnaissance et, tandis qu'elle prends le temps de se calmer, je reste à ses côtés, prêt à répondre à toute question. Elle me jette des regards timides et désolés, et je lui réponds avec un sourire qui se veut le plus rassurant possible. Je préfère un élève éprouvant des difficultés mais qui se donne au maximum qu'un autre qui ne se contente du minimum. Elle me dit, d'une voix balbutiante, qu'elle est désolée de me décevoir. Je vois ses yeux s'embuer, et je sens l'émotion grimper en flèche. Pauvre enfant, ne t'inquiète pas. Je m'approche d'elle et pose une main sur son épaule. Je n'ai jamais été très doué pour consoler les gens tristes, mais tout s'apprends. Je ne sais d'abord que dire pour réconforter la jeune fille, et, finalement, les mots sortent d'eux même. Je lui dis alors :

"- Tu n'as pas à t'en vouloir Lilian. Le combat n'est pas un art facile à apprendre. Moi même, à ton âge, j'ai éprouvé beaucoup de difficultés. Je ne comprenais pas l'intérêt d'une telle matière, car je ne me voyais pas faire ça. J'ai même répondu à mon professeur qu'une boule de feu ne vaut pas la flamme qui nous éclaire quand la nuit tombe. Plus tard, j'ai compris que le combat ne sert pas uniquement à attaquer, ou à se défendre. Mais aussi à protéger ceux qu'on aime. J'ai appris, avec le temps, tout comme toi tu le feras. Tu apprendras à faire confiance en tes talents. "

J'espère que cela suffira, comme je l'ai dit, je ne suis pas très doué pour réconforter. Enseigner et me battre, certes, mais les sentiments humains... J'ai déjà du réconforter des veuves éplorées, des gens qui avaient perdus leurs biens, mais je ne me contentais que de leur dire que le coupable était soit déjà sous les barreaux, soit qu'il n'allait pas tarder à l'être. Je n'ai jamais du faire face à un mal qui ne venait pas d'une cause extérieure, mais interne à la personne. Lilian est un défi pour moi, et je compte réussir à l'aider à s'affranchir de cette peur qui la ronge. Lilian me demande alors si je pensais qu'elle pourrait devenir mage, malgré ses soucis d'élocution quand elle se sent angoissée. Je lui souris et lui dit :

"- Je ne le crois pas Lilian, j'en suis sur. Car, et on a beau penser le contraire mais c'est la vérité, la magie ne se passe pas dans la tête, mais dans le cœur du mage. Si tu sens la magie jusqu'au fond de toi, jusqu'au tréfonds de ton âme, alors elle ne te trahira jamais. Ne pas arriver à incanter n'empêchera pas les dieux de comprendre ton souhait, si tu l'as déjà formulé au fond de toi. Si tu es sure de ce que tu veux, les mots viendront tout seul, crois moi. Avec le temps, tu apprendras à comprendre la magie qui vibre en toi, à la dompter et les incantations ne seront plus un soucis. "

Tout en parlant, j'ouvre ma main et me concentre sur ce que je voudrais y faire apparaitre. Une brève incantation fait apparaitre dans ma paume une petite boule incandescente, qui brille comme un soleil. Elle reste bien sagement entre mes doigts, paraissant aussi inoffensive qu'un faon. Je dirais presque qu'elle a même l'air mignonne, cette petite sphère. Je lève la tête vers la jeune fille et reprends :

"- Ce qu'il faut te dire, c'est que chaque personne est unique, donc la magie qui l'habite l'est également. Ne laisse personne essayer de te dicter comment gérer ton énergie. Tu es ici pour toi et pour personne d'autre, c'est toi qui a toutes les cartes en main et tu es le maitre du jeu. Nous autres ici ne sommes là que pour t'orienter lorsque tu doute et pour te donner d'autres cartes qui te seront utiles. C'est tout. "