Une faveur délicate

Alors que le jour se levait sur la capitale démériane, le guerrier était assis sur sa couche dans sa roulotte, un parchemin à la main. La feuille était légèrement tâchée et ondulée sur le bas, l’encre un peu étalée par endroit la faute à cette petite escapade dans les marécages la veille. Lorsqu’il était rentré la veille, il avait parcouru à nouveau les lignes tracées de la main de son frère, espérant que le contenu aurait changé magiquement. Peut-être que ce n’était qu’une plaisanterie, que le parchemin allait finir par s’agiter pour relever une invitation sympathique, un mot gentil de la part de ce cadet qu’il avait aimé avant d’être rejeté. Mais non, même à l’aide de prières plus vaines les unes que les autres à tous les dieux possibles et imaginables, les lettres étaient restées figées, n’avait rien révélé d’agréable. Il communiquait peu avec son frère, n’avait eu que de rares contacts avec lui ces dernières années. Au début il se déplaçait en personne, par portail pour lui apporter ce qu’il avait à lui donner. Et puis, l’accueil se faisant de plus en plus froid, il avait fini par prendre la décision d’envoyer quelqu’un à sa place. Il accompagnait souvent ses colis de petites douceurs pour son frère aîné, de mots tendres qui lui étaient destinés. Il ne savait pas si leur frère les lui donnaient ni s’ils prenaient le temps de lire les mots qu’il peinait à tracer.


Rageusement il jeta la lettre en se levant. Il avait beau avoir tourné le problème dans tous les sens, il ne parvenait pas à trouver de solution. Le guerrier passa ses mains sur son visage dans un soupir las. Il resta là quelques temps, debout à contempler le décor par la fenêtre avant de se résoudre. Lentement il se baissa pour saisir à nouveau le papier et en parcourir les lignes.

Ewen,
Les temps sont durs, comme tu t’en doutes.
Non il ne s’en doutait pas, le commerce de Graham tournait bien depuis de nombreuses années.

Alistair est certes adulte, il pèse toujours autant sur nos revenus, à ma mère et moi.
À chacune de leur rencontre, son petit frère n’avait cessé  de lui reprocher par diverses allusions mesquines de devoir s’occuper de leur frère handicapé et de leur mère. Le fait qu’il mentionne d’ailleurs cette dernière comme sa mère et non la leur le blessa. Il se savait ne pas être apprécié, mais ce rejet le marqua plus que son visage neutre laissait paraître.

Aussi, nous avons besoin de plus pour subvenir aux besoins de cette lourde charge qui nous pèse plus qu’il nous avantage. Je te prie donc d’augmenter la somme versée d’au moins cinquante fleurons afin de nous aider. Je suis sûr que tu comprends que je ne peux nous priver d’avantage pour lui.
En espérant que tu nous envoies tout cela très vite.
Graham


Le temps de relire le parchemin les larmes lui étaient montées aux yeux. Ewen n’avait pas le choix, ne l’avait jamais vraiment eu. C’était soit il payait, soit Graham mettrait son frère à la rue, livré lui-même. Et tous deux ils savaient que leur aîné ne saurait survivre sans aide. Le cadet avait d’autant plus appuyé l’amour qu’il portait à sa mère, sa seconde corde sensible. Il se sentait bafoué et en même temps dans une totale impasse. Fourrant rageusement le papier dans sa poche il sortit de sa roulotte dans la fraîcheur matinale. Il savait où il pouvait trouver le polichinelle, le seul qui pouvait un temps soit peu l’aider. Il avait besoin d’une avance sur sa solde et le bras droit de l’Arlequin était la personne la plus abordable pour ce type de requête.

Ainsi il finit par le trouver, seul assis dans l’auberge où il dormait. Prenant une grande inspiration, le guerrier finit par s’approcher alors, un mince sourire aux lèvres. « Bonjour Flavien. Je... » Il n’arrivait pas à se lancer, ne pouvait lui demander une telle chose de but en blanc. « Vous avez bien dormi ? » Les banalités ne lui seraient pas d’une grande aide bien longtemps , quelques minutes  tout au plus. La nervosité se voyait clairement à sa manière de se tenir, à sa main qui agitait ses boucles sur l’arrière de sa tête. « Je m’excuse de vous déranger de si bon matin mais j’aurai… hum… besoin d’un… petit service... » Sa voix se fit hésitante sur la fin, presque comme une question. Si jamais le polichinelle n’était pas d’humeur à l’écouter il se verrait bien embêté.