Je vous en prie, sauvez-moi!

La journée est plutôt belle et tu décides d’en profiter pour aller faire une promenade à l’Ancrage.  En général, tu attends une visite de Bertin pour faire tes emplettes, tu te sens plus en sécurité auprès de ton oncle pour déambuler sur les passerelles suspendues de la ville flottante, mais il est plutôt occupé ces jours-ci et malheureusement tes achats ne peuvent pas attendre beaucoup plus longtemps.  En plein jour, tu ne devrais pas rencontrer de problèmes, d’ailleurs ta leçon avec Rodrigue t’a aidé à mettre en pratique ta magie, donc si quelque chose devait arriver, tu ne serais pas complètement sans défense.  Tu ne remplis ta besace que du stricte nécessaire, de crainte de te faire voler quoi que ce soit.  Avec le minimum, les pertes seraient moins grandes.  Tu te rappelles les enchantements de base qui pourraient t’aider. Ça devrait aller n’est-ce pas Mistral? Bien sûr, arrête de te faire du soucis Lilian? Sur ces mots encourageants de ma part, tu quittes ta chambre, prête pour ton aventure du jour.

Les murs réconfortant de l’académie se retrouvent rapidement derrière toi.  Visiblement, tu t’es inquiétée pour rien puisque tu trouves aisément ton chemin jusqu’au centre commercial et que tu peux faire tes achats sans aucun soucis.  Ou peut-être que je viens de parler trop tôt.  Il y a un bon moment que nous sommes sur le chemin du retour et pourtant, je ne reconnais aucune des passerelles que nous traversons.  Lilian, est-ce que tu sais où on va?  Tu ne me réponds pas.  C’est… curieux.  Tu presses le pas et prend un tournant subitement. Qu’est-ce qui se passe Lilian?  Tu n’as pas encore le temps de me répondre qu’une bande de garçons se trouvent derrière nous et le chemin que tu as choisi est malheureusement une impasse.  Mistral… Ton esprit se crispe tandis qu’il se tend vers le mien.  Je peux sentir ton inquiétude et ta peur.  Je pointe le bout de mon museau à travers tes cheveux lâchés sur tes épaules où je me suis posé, pour voir un peu mieux ce qui nous attend devant.  Ils sont au nombre de trois, visiblement un peu plus âgés que toi.  Ils n’ont pas l’air méchant, mais je doute qu’ils ne soient là pour te demander si tu es perdue.  Je ne les sens pas trop désintéressé et le regard du chihuahua qui accompagne l’un d’entre eux ne me dit rien qui vaille.

« Alors, on s’est perdue? » demande finalement l’un d’entre eux avec un sourire.  Mais ce sourire n’a rien d’amical.  Nous le sentons tous les deux.  Calme-toi Lilian, respire un bon coup et rappelle-toi ce que le professeur Belorme t’a appris si ça tourne mal.  Tu inspires profondément.

« Je ne su-su-suis p-p-pas p-p-per-p-p-perdue, » arrives-tu à bégayer ce qui décroche un sourire en coin aux trois lascars.  Tu attends un instant, en espérant qu’ils te laissent passer et poursuivre ta route, mais le seul mouvement qu’ils font, c’est l’un d’entre eux qui s’avance dans ta direction, te faisant reculer jusqu’à ce que ton dos se retrouve collé contre un mur et il te domine, sa main posé contre le revêtement.

« L…moi p-p-par… »

Mais tu n’arrives pas à terminer ta phrase.  Je sens ton coeur battre à tout rompre dans ta poitrine.  Et voilà que ça commence.  Ton visage se crispe, ta bouche s’ouvre, tordue, ton nez se froncent et tu clignes des yeux sans pouvoir t’en en empêcher.  Lilian.  Lilian. Je suis là, ça va bien aller.  Respire, Lilian.  Je m’étire pour poser mes petites pattes sur ta joue, geste qui a d’habitude assez de succès et fonctionne bien pour te calmer.  Mais le rire gras des garçons, leur cercle qui se referme sur toi… le stimulus est trop grand et je n’arrive pas à te calmer.

La foire de l’Ancrage était bien souvent un moment particulier pour la caravane. Les affaires y allaient toujours bons trains, les représentations s’enchaînaient, les artistes allaient et venaient sans cesse. Tous baignaient toujours dans une effervescence particulière. Effervescence qui laissait bien souvent le guerrier nerveux. Toutes ses têtes à observer, tous ces gens à protéger dans une si grande cité. Une peintre de la caravane avait demandé sa présence auprès d’elle pour aller faire quelques emplettes sur les longues étales de la foire. Il avait accepté sans bronché, se faufilant dans ce joyeux tumulte. La dame était arrivée récemment parmi eux, profitant du passage des roulottes près de son village pour rejoindre leurs rangs et profiter de la renommée de la caravane des arts. Pour elle, c’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans la ville flottante et était nerveuse, surtout pour un évènement apportant autant de monde.

Une fois ses achats effectués, Ewen se retrouva être aussi libre que l’air. Il en profita alors pour déambuler simplement dans les rues, appréciant la sensation de se perdre dans la ville aux mille tours. C’était si apaisant le simple fait de marcher dans l’inconnu, de tracer des boucles pour découvrir ce que cache chaque tournant, l’impression d’être si petit parmi les hauteurs. Une jeune femme passa près de lui mais il ne s’en formalisa pas. Après tout, l’Ancrage n’était pas connue pour être une ville sans habitants. Quelques rues plus loin, se furent trois garçons qui le dépassèrent, l’un d’eux le bousculant légèrement au passage. Ils riaient, s’amusaient, aussi Ewen ne prit-il pas la peine de réclamer des excuses. Il avait été jeune lui aussi, pris dans ses jeux on ne faisait parfois pas attention au monde qui nous entourait. Il poursuivit donc sa route, le nez en l’air.

Alors qu’il traversait une petite route, il aperçut du coin du regard des silhouettes dans une impasse sur sa gauche. Jusque là rien d’étonnant, des gens dans des ruelles ce n’était pas ce qui manquait. Alors qu’il continuait sur sa lancée, il eut un mauvais pressentiment. Il ne savait d’où il venait, ni pourquoi, mais il sentait au fond de lui que quelque chose ne tournait pas rond dans ce qu’il avait entraperçu. Les années en tant que guerrier lui avaient appris à se fier à son instinct, aussi décida-t-il de rebrousser à chemin afin de jeter un œil à ce qui pouvait se tramer. Le groupe de jeunes qui l’avaient bousculé était là, vers le fond. De dos, Ewen pouvait tout de même voir clairement la sorte de demi-cercle qu’ils formaient. Ce ne pouvait pas être anodin.

Fronçant les sourcils il s’avança alors vers eux, accueilli par un ensemble de rire. Il ne voit pas ce qu’ils entourent, quel secret il souhaite cacher. A distance, il n’hésita pourtant pas déjà à s’exprimer tout en avançant, signalant sa présence. « Quand on bouscule quelqu’un il est de mise de s’excuser. » Ce furent déjà deux tête qui se retournèrent vers lui, le jaugeant du regard. En voyant les lèvres pincées du guerrier l’un d’eux attribua de légers coups de coude dans les côtes du garçon au centre qui masquait toujours la vue d’Ewen. Les stimulis de son camarade eut l’air de le faire sortir de sa contemplation morbide puisqu’il se tourna finalement vers lui. « On ne vous a jamais dit de ne pas vous occuper des affaires des autres ? »

Son mouvement permis à l’Ansemarien de pouvoir enfin voir la jeune femme adossée au mur. Il émanait d’elle une peur certaine et les contractions de son visage, bien qu’étranges, n’en témoignait que d’avantage. L’insolence du garçon lui fit secouer la tête et s’avancer d’un pas plus lourd avant de serrer fermement sa main sur son épaule pour le retourner complètement. Son insolence l’énervait au plus haut point. Ewen le dominait d’une bonne tête et son air sévère suffit à faire déguerpir ses deux accompagnants. « Terroriser une femme, c’est ça qui est censé te faire devenir un homme ? » Il ne criait pas, et pourtant on pouvait clairement sentir que répondre quoique ce soit n’était pas du tout une bonne idée. D’un mouvement brusque il rejeta l’homme derrière lui, le faisant tomber par l’élan. « Déguerpis avant que réellement tu aies des ennuis. » Énervé de perdre sa proie, le garçon s’apprêta à répondre en se levant mais la main qu’Ewen porta à sa ceinture finis de le convaincre de partir.

Ewen et la jeune femme étaient désormais seuls dans la ruelle. Son état était préoccupant. Il ne savait pas de quel mal elle souffrait, mais il était évident qu’elle était dans une crise de panique conséquente. Il se rappelait les fois où Alistair s’arrêtait dans la rue en tremblant, se balançant d’un pied sur l’autre parce que quelque chose l’avait apeuré. Doucement il s’approcha d’elle, tendant une main délicatement. « Ne t’inquiète pas, je ne te veux aucun mal. » L’objectif n’était absolument pas de l’apeurer d’avantage. Il sentit le mouvement de recul et se ravisa un instant. « Tout va bien se passer, ils sont partis. » Il lui offrit un petit sourire avant de prendre doucement ses mains dans les siennes. « Là… ça va aller. »

La peur de la jeune femme lui faisait mal au cœur. Si jamais il recroisait ses jeunes il aurait très certainement une bonne leçon à leur donner.