Et fleurissent les lilas du printemps

Vous n’avez eu que peu l’occasion de réellement passer du temps ensemble, ces dernières semaines. Ce n’est pas la première fois que cela arrive depuis l’arrivée d’Agathe dans ta vie, et elle est sans doute familière avec le rythme de vie de la cour à présent. Cela ne veut pas dire, pourtant, qu’il te fait plaisir d’avoir l’impression de parfois négliger ta fille. Et avouons-le, Séverine n’a rien fait pour aider cette cause lorsqu’elle a déboulé dans ton bureau en défoulant toute sa colère sur toi.

Tu n’es pas, d’ordinaire, du genre à acheter des présents à tes proches pour te faire pardonner tes absences. Nathanaël savait déjà le genre de vie professionnelle que tu menais à l’époque de votre rencontre et tu préfères de loin le remercier de sa patience de façon plus intime lorsqu’il vous est donné de vous retrouver pour plus que quelques heures de sommeil arrachés. Tu ne retrouves pas Agathe de cette façon, bien sûr, mais tu t’assures d’ordinaire de libérer plus que temps à passer avec elle à la fin d’un long procès. Tu ne te gênes pas à avouer que tu aimes les moments que vous passez ensemble et qu’il te fait plaisir de pouvoir la retrouver au calme et l’esprit éclairci, l’attention toute centrée sur elle plutôt qu’éparpillée sur tout ce que tu as encore à faire.

Cette fois, pourtant, il a eu envie de faire davantage. Tu as profité il y a quelques jours de deux heures de liberté pour t’échapper de la demeure familiale en toute discrétion et passer une commande bien particulière auprès de votre couturière préférée. Tu as reçu une note hier te prévenant que ta commande était prête et c’est donc heureux que tu t’es de nouveau faufilé par les rues d’Euphoria pour récupérer le paquet finement emballé. Tu n’as pas fait des cas à ton retour. Pire, tu as demandé aux serviteurs de monter le paquet à ta chambre par les escaliers de services en leur intimant de n’en rien montrer à Agathe. Tu veux lui en faire la surprise le moment venu.

Ce moment, tu as choisi que c’est maintenant. Tu as posé le paquet sur ton bras gauche et quitté ta chambre pour te diriger vers celle d’Agathe, ta fille adorée. Tu sais qu’elle s’y trouve avec une des domestiques pour commencer à préparer les affaires qu’elle amènera avec elle pour son séjour à l’Ancrage. C’est donc le moment parfait pour venir lui offrir ce que tu as préparé. Tu toques à la porte et attends qu’on t’invite à entrer, juste au cas, histoire de ne pas mettre personne mal à l’aise. C’est seulement en entendant l’invitation d’Agathe que tu pousseras la porte grande ouverte pour te glisser dans la pièce aménagée aux goûts de la jeune fille.

Tu souris à ta fille en entrant, la saluant chaleureusement même si ce n’est pas la première fois que vous vous voyez aujourd’hui. « Pourriez-vous nous laisser un instant, je vous prie ? » Tu t’adresses à la domestique qui te fait une petite révérence avant de quitter la pièce. Tu as envie d’un moment un peu plus privé avec ta fille, sans oreilles et regards curieux. Juste un moment simple. Tu attends que les pas de la jeune femme disparaissent à l’entrée des escaliers de service avant de t’approcher du lit d’Agathe sur lequel tu poses le paquet avant de t’éloigner de quelques pas.

« Je ne te priverai pas de son aide trop longtemps, mais j’avais envie de te voir et de passer un peu de temps avec toi. Puis, quelque chose me dit que tu voudras ajouter le contenu de ce colis à tes bagages… » Ton sourire prend un air un peu joueur, amusé de savoir que tu piques sans doute sa curiosité. « Vas-y. Je l’ai fait faire pour toi! » Tu attends qu’elle s’approche, commence à défaire la ficelle qui cache la jolie robe que tu as commandé pour elle avant d’ajouter d’un ton affectueux : « Je dois me rendre à l’évidence que tu n’es plus la toute jeune fille qui s’est jointe à nous il y a trois ans. J’ai eu envie de t’offrir quelque chose qui fasse davantage femme. J’espère qu’elle te plaira. » Oh, rassurons-nous, Agathe a été libre de commander ses vêtements jusqu’à présent et vous ne l’avez jamais obligé à s’habiller comme une fillette. Non, ça n’est pas ce dont il est question. Seulement peut-être, dans tes choix de cadeaux, t’étais-tu montré jusqu’à présent plus conservateur – pour on Cielsombrois, précisons – plus discret. Mais voilà, tu ne peux que te rendre à l’évidence que Agathe est une femme à présent.

Lorsque Nathanaël lui avait annoncé qu’ils partiraient prochainement pour l’Ancrage, Agathe avait abandonné sa lecture sous quelques exclamations joyeuses puis avait traversé le salon à la hâte dans l’espoir de rejoindre sa chambre et ses bagages qui n’attendaient qu’elle. Elle avait fait volte-face avant même de quitter la pièce, faisant virevolter ses jupons par la même occasion, pour trottiner vers son père et lui voler une étreinte. Il levait déjà une large patte entre l’amusement et la surprise devant cet éclat soudain. La blondinette lui avait murmuré une ribambelle de mercis, sincèrement reconnaissante, et avait disposé, enfin, d’une manière un peu plus posée. Mais il n’était pas dupe, Nathanaël, et Agathe entendait son rire l’accompagner alors qu’elle franchissait l’escalier quatre à quatre.

Toute la matinée suivante, Nathanaël et elle avaient dressé les activités qu’ils seraient en mesure de faire, lors de ce séjour. Il y aurait évidemment un contrat pour le Pas de l’Ombre que maître et apprentie se devaient d’effectuer, et Agathe ne pouvait que s’en réjouir. Il s’agissait d’un coup bien plus audacieux que tout ce qu’elle avait pu faire jusqu’à présent, et elle agirait principalement seule, malgré la proximité de son maître. Dans un petit mois à peine, elle serait voleuse de plein droit. Les contrats sélectionnés par Nathanaël la préparaient de plus en plus au prochain solstice. Mais… Mais il y aurait aussi une sortie au théâtre - qu’elle pourrait conter, commenter et rejouer à Octavie -, une virée dans leurs boutiques préférées de la ville haute, ainsi qu’une balade pour admirer les manèges de l’Ancrage. Évidemment, il y aurait également le travail à la boutique du Cinabre. Inspecter les archives. Fouiller les comptes. Faire un suivi méticuleux de l’inventaire. Introduire quelques poisons de contrebandes. Il ne s’agissait certainement pas de leurs tâches favorites, ni à lui, ni à elle, mais elles avaient leur importance, autant pour leur famille que pour le Pas de l’Ombre.

Elle en était là, Agathe, accompagnée de Hallebarde et de Gabrielle - l’une des domestiques de la maisonnée qu’elle avait adoptée dès son arrivée, trois petites années plus tôt -, à tâcher de préparer des tenues pour le séjour à venir, lorsqu’un bruit de pas assurés s’intensifia dans le couloir. Puis trois coups ordonnés. Alors même qu’elle l’invitait à entrer, elle savait bien qui se trouvait derrière la porte. Il n’y avait que Zacharie, dans ce manoir, à être aussi pointilleux et assuré pour que sa propre démarche le trahisse.

- Merci Gabrielle. Nous avons bien avancé, grâce à vous.

Un hochement de tête plein de reconnaissance pour la femme qui s’esquivait déjà, et un sourire de ravissement pour Zacharie. À la vue du paquet soigneusement enveloppé qui siégeait désormais sur son lit, Agathe fronça les sourcils d’intérêt. Elle déposa Hallebarde sur la coiffeuse au passage, où un parcours lui permettait de rejoindre quelques meubles, pour retrouver l’étrange colis et son généreux donateur. Elle pesait ses mots, Agathe, toujours un peu incertaine devant lui. Cette peur de lui déplaire, de devoir faire ses preuves. Il ne lui donna pas l’occasion de formuler sa pensée, que déjà il la pressait d’ouvrir son présent, et elle ne se fit pas prier, bien vite habitée d’une excitation fébrile. Une ombrelle. C’est physiquement impossible, Hallebarde… Le paquet est bien trop petit. Ce serait utile à tes bagages.  Il y avait quelques lueurs brillantes à son regard, de joie difficilement contenue, alors qu’elle découvrait le fameux présent. Une robe faite pour elle, à son insu. Une robe de jeune femme. Un jeu de dentelle fine et de soie délicate. Et une échancrure agréable, un peu plus marquée que d'ordinaire, Agathe le devinait alors qu’elle dépliait l’étoffe lilas avec mille délicatesses.

- Elle est parfaite…!

Elle hésita un bref instant, la robe à moitié déployée, puis se laissa convaincre sous le regard amusé qu’il lui dédiait. En un battement de cils, elle lui offrit une étreinte un peu maladroitement alors qu’elle le prenait au dépourvu. À peine eut-il le temps de la lui rendre qu’elle revenait à son cadeau, les joues rosées d’émotion.

- Et Hallebarde qui espérait une ombrelle! C’est … infiniment mieux qu’une ombrelle. Nathanaël m’a invitée à une représentation théâtrale, je pourrais peut-être la mettre là. Ou bien pour retrouver Aubrée.
- Une ombrelle rétractable était tout à fait plausible.

La toute blonde ne laissa pas le hérisson défendre son honneur plus longtemps, et se détacha plutôt de Zacharie pour revenir à la contemplation de la petite merveille. Maintenant qu’elle y accordait plus d’attention encore, elle percevait sans mal les motifs de lys dans la dentelle.

- Est-ce de ton initiative seule? Sans Séverine? Évidemment que oui... Je suis simplement touchée par la pensée. Par la robe, bien sûr, mais c’est si délicat de te donner tout ce mal pour me faire plaisir!

Coquette contentée. Fille charmée. Elle lui dédiait désormais son entière attention. Il réclamait son temps, et elle le lui offrait volontiers.

Tu peines à cacher ton amusement devant l’intensité de la curiosité et de l’excitation d’Agathe. C’est une jeune fille vive, animée, beaucoup plus impulsive que tu ne l’as jamais été, et il vous a fallu un moment pour apprendre à vivre ensemble. À former une famille. La chose avait semblé naturelle entre Nathanaël et Agathe. Tu aimes à expliquer cela par tout le temps qu’ils ont passé ensemble dans le cadre de la formation de la jeune femme. Tu sais, pourtant, qu’il s’agit aussi d’une question de personnalité… Malgré toutes tes bonnes intentions, tu as eu du mal à ne pas être considérablement plus sévère que Nathanaël sur certains aspects. L’étiquette, par exemple. Et l’éducation. Elle a su apprendre et s’adapter à des règles de vie qui lui semblaient sans doute très étranges, à la petite blonde, et tu t’arrêtes parfois pour admirer le chemin qu’elle a parcouru.

C’est pour célébrer son évolution à vos côtés que tu as fait faire cette robe. Tu sais qu’elle arrive à la fin de sa formation. Que, si elle n’avait été qu’une apprentie, elle quitterait doucement vos vies pour faire la sienne, bâtir sa propre carrière en volant de ses propres ailes. Et peut-être le fera-t-elle un peu, du moins tu l’espères, car tu es toi-même un homme très ambitieux et il t’attristerait de la voir abandonner ses rêves… Mais tu sais aussi que, comme toi, elle gérera un jour Sombrétoile et qu’il lui faut par conséquent également apprendre les rouages de la noblesse… Rouages qu’il peut prendre des années à maîtriser… Mais pour le moment, ce n’est pas ce à quoi tu penses. En toute honnêtement, tu te réjouis simplement de la voir apprécier ton cadeau.

L’étreinte te surprend d’abord, mais tu ne t’en laisses pas trop ébranler et, si celle que tu retournes est maladroite, elle n’en est pas moins sincère. « Je suis heureux qu’elle te plaise. Peut-être la prochaine fois t’offrirais-je une ombrelle assortie pour faire plaisir à Hallebarde. Et où que tu la portes, je suis certain que tu seras ravissante. » Tu souris toujours lorsque la jeune blonde quitte tes bras pour retourner à son observation détaillée de la robe. Elle se questionne, à raison, à savoir si tu as reçu les conseils de Séverine sur ce coup. Et c’est avec une touche de fierté amusée que tu affirmes : « Séverine ignore tout de l’existence de cette robe. Tu pourras l’en surprendre à sa prochaine visite ! À mon avis elle te trouvera magnifique. »  Bon, elle trouvera aussi sans doute quelque chose à te reprocher au sujet de la robe, mais toi tu l’aimes bien, et clairement Agathe aussi. C’est le plus important, non ?

« Alors… l’Ancrage… J’aurais aimé vous accompagner, mais ça ne sera pas possible cette fois encore… » Comme cela arrive souvent. Tu sais qu’ils voyagent souvent pour maintenir leur couverture. Parfois peut-être même pour des missions desquelles tu préfères ne rien savoir, par mesure de sécurité. Vous ne pouvez pas être trop prudents… Cette fois-ci, tu aurais beaucoup aimé les accompagner, mais tu dois te rendre à l’évidence : leur absence te permettra de rattraper le retard accumulé dans toutes tes tâches de sorte que, à leur retour, tu puisses réellement apprécier leur compagnie. « Tu parles d’une visite au théâtre, et d’Aubrée… As-tu d’autres plans pour ce séjour ? Nathanaël t’a-t-il préparé d’autres visites mondaines ? » Tes pas t’ont mené jusqu’à la coiffeuse d’Agathe et tu prends place à la chaise qui y est placée, non sans l’avoir retournée pour pouvoir lui faire face. « C’est quelque chose que nous avons négligé dernièrement. Il est plus que temps que nous t’introduisions sérieusement à la haute société. »

Elle n’est pas inconnue, Agathe, mais l’on ne peut pas dire non plus que vous ayez fait un effort particulier pour l’introduire dans de nouveaux cercles. Elle est surtout connue de vos amis, ceux que vous recevez lors de vos soirées mondaines – soirées débats – et ceux qui, parfois, vous invitent tous les trois. Vous pouvez certainement faire mieux pour votre chère fille. « Tu t’en sens prête ? » Toi, tu la sens prête. Mais ça ne veut pas dire qu’elle ressent la même chose. Tu ne voudrais pas la presser de trop, mais il serait dommage de la faire attendre plus que de raison alors qu’elle arrive à l’âge où elle devrait être exposée aux autres jeunes nobles…

Elle avait déposé la manche délicate sur son épaule, s’imaginant sans difficulté la douceur que serait l’étoffe sur sa peau nue. Derrière elle, Zacharie lui parlait d’ombrelle - ce serait si agréable d’en avoir une enjolivée de dentelle! - puis de Séverine, et de la surprise qu’elle aurait en la voyant ainsi habillée. Quelle amitié étrange ils avaient développé, tous les deux… Elle se questionnait souvent, Agathe, de leur affection, lorsqu’elle les entendait se chamailler pour un tout petit détail. Mais Séverine revenait toujours, inlassable et prompte à critiquer le moindre travers de Zacharie, et Zacharie semblait parfois prendre plaisir à tous ces lots de critiques et de reproches. Il lui semblait que Valentine avait pour elle une amitié bien plus douce et paisible, constellée de cajoleries et de confidences. Peut-être avaient-ils une affection aussi grande, eux aussi, sous ce vernis de drames? Une chose était certaine, toutefois, Séverine allait aimer cette robe. Agathe n’avait jamais rien vu de si élégant et féminin.

Tout l'intérêt qu'elle portait jusqu'alors sur la jolie robe se dirigea vers Zacharie, lorsqu'il mentionna ne pas être du voyage. Un pincement tenaillait son coeur, comme un malaise léger et perfide, alors qu’à aucun instant elle n'avait considéré la possibilité qu'il soit des leurs. Elle ravala toutefois son sentiment de fille indigne pour lui offrir un sourire de velours, toute pleine de compréhension. La robe retrouva sa boîte avec grande délicatesse avant qu’elle ne se détourne vers Zacharie pour lui faire face.

- C'est dommage, mais je comprends… Tu as tellement de dossiers. Tu te reposeras un peu, promets-moi?

Elle le suivit un instant des yeux, jusqu’à ce qu’il s’installe sur la chaise de sa coiffeuse, retournée pour l’occasion, et aborde le sujet des soirées mondaines. Pendant un instant, elle s’était sentie fautive de n’avoir vu de beau à l’Ancrage que sa soeur ainée et les manèges, le théâtre et les boutiques, sans accorder un peu plus d’enthousiasme aux rencontres mondaines. Il se condamne d’impéritie quant à ses aptitudes à être père, sans rien te reprocher en faute. Tu recommences, Hallebarde… Il se croit mauvais père en négligeant tes entrées au sein de la noblesse. Oh… Elle n’avait pas vu la situation ainsi. C’était pour elle, qu’il était si sérieux, et non pas contre elle.

- Nous visiterons la famille de Nathanaël, et Uriel de Chantefable sera présent. J’espère qu’il déclamera quelques poèmes… Hallebarde sera ravi de l’entendre, et moi aussi.

Sous un bruissement léger, Agathe s’inclina pour récupérer le hérisson et s’agenouilla devant son père. Il n’y avait sans doute qu’ainsi qu’elle se sentait encore toute petite, à ses côtés. Son excitation s’était muée en quelque chose de plus posé, comme un amusement léger ou de l’attendrissement.

- Zacharie… Elle chercha son regard, le minois incliné, avant de continuer. Séverine me présente à tant de gens que j’en suis étourdie, lorsqu’elle m’emmène au loin. Tu le sais, n’est-ce pas? Ce n’est pas aussi prestigieux qu’un bal, ou qu’une soirée, mais je ne néglige pas la chance que tu m’as offerte… Même si je préfère les carrousels de l’Ancrage. Même si j’aime Aubrée et Arnaut.

Comme elle la dorlotait, Séverine, lorsqu’elle l’enlevait à Nathanaël pour l’emmener au loin le temps d’un séjour! Agathe prit grand soin de taire que l’ambassadrice la présentait comme étant l’une de ses parentes, de temps à autre, pour n’être en rien au centre de l’une de leur querelle amicale. Qui donc croirait qu’une jeune femme aussi blonde et pâle puisse être d’une quelconque parenté avec une femme si colorée? Personne n’avait osé remettre les paroles de Séverine en question, et Agathe ne l’avait pas contredite. Après tout, la généalogie cielsombroise était assez complexe pour permettre toutes les improbabilités, et l’ambassadrice faisait déjà office de marraine improvisée. Pour ce qui était de se sentir prête à être introduite officiellement dans ce monde qu’elle ne connaissait que depuis peu, malgré son sang…

- Je crois que oui… Crois-tu qu’ils seront aussi indulgents que Nathanaël et toi, envers moi? La robe aidera, n’est-ce pas?

Elle lui avait offert un sourire amusé, tout en le questionnant, pour mieux endormir ses propres doutes. Les soirées que les Sombrétoile offraient étaient toujours agréables et conviviales, alors que seuls les amis de la famille étaient invités. C’étaient les autres, qu’Agathe craignait, ceux qui ne pardonneraient pas ses maladresses et ses lacunes, qui ne la trouveraient pas assez Cielsombroise. Malgré sa peur de fauter, et celle de déplaire à ses pères d’adoption, il fallait bien l’avouer : l’idée d’un bal ou d’une soirée la rendait bien rêveuse.

« C’est dommage, mais je comprends… Tu as tellement de dossiers. Tu te reposeras un peu, promets-moi? » L’attention de ta fille te touche. Qu’elle parvienne à se soucier de toi malgré l’excitation du voyage à venir… Malgré, aussi, le manque d’occasion de réellement vous voir ces dernières semaines… Elle souligne, en étant simplement elle-même, la chance que tu as de l’avoir à tes côtés. Ton air sérieux ne parvient pas à masquer complètement la chaleur que tu ressens en entendant ces quelques paroles. « Le procès est terminé, le pire est derrière moi. Je n’ai qu’à rattraper mon retard sur certains dossiers, puis j’irai quelques jours à Sombrétoile. » Sombrétoile qui est aussi, à sa façon, un dossier à rattraper même si pour celui-ci tu engages un intendant pour gérer le quotidien pendant tes absences répétées.

« Les Cinabre et Chantefable. Cela est un bon début. » Tu souris légèrement. Agathe a toujours cet intérêt, cet émerveillement devant les arts qui suscitent plutôt de l’indifférence de ton côté. Sauf s’ils sont philosophiques, bien sûr, mais tu doutes que les poèmes qui feront battre le cœur de ta chère fille seront les mêmes qui sauraient piquer ton intérêt. Mais ça n’importe pas. « J’espère que vous saurez tous les deux apprécier la visite. »

Tu l’observes s’approcher, s’installer à tes genoux comme si elle était encore une petite fille. La scène a quelque chose d’attendrissant à tes yeux sans même que tu ne saches trop pourquoi et, pour une fois, tu ne cherches pas à le cacher à Agathe. Votre relation a fort évolué ces dernières années et tu as l’impression que vous vous êtes tous les deux apprivoisés. Tu n’as pas pour elle les gestes tendres que certains parents pourraient avoir. Tu es un père plutôt distant, comme ton père l’a été avant toi. Une question de noblesse, peut-être, pour lui. De personnalité, simplement, pour toi. Tu t’assures malgré tout qu’elle sache que tu l’apprécies beaucoup. Et parfois cela passe par une révélation honnête de tes sentiments, de ta tendresse, de l’amour paternel que tu ressens pour elle.

« Je sais, Agathe, je sais. » Un petit rire s’échappe d’entre tes lèvres. « Séverine ne me laisserait jamais l’oublier… » Tu l’observes un moment, observe ses traits, le regard qu’elle pose sur toi, qui croise le tien avec une douceur toute timide. Tu te penches un peu, appuies un coude sur un genou alors que, de ta main libre, tu viens chercher l’une des siennes que tu serres délicatement dans la tienne. Tu es tenté, pendant un instant, de la porter à tes lèvres, non pas pour la courtiser, mais pour lui montrer que tu tiens à elle. Tu n’oses pas, pourtant, trouvant que peut-être cela serait déplacé. Sans doute, même. Tu te redresses seulement, venant glisser sa main entre les tiennes, sur ton genou.

« Je n’ai jamais cru cela de toi, rassures-toi, Agathe. Et jamais je ne te demanderai d’abandonner qui tu es. Aubrée et Arnaut, les carrousels, les automates… Tout ça fait partie de la jeune fille tout à fait charmante que nous avons accueillie pour la vie. » Le sérieux de tes propos est adouci par le sourire qui étire tes lèvres, par la chaleur de toute ton affection qui brille dans ton regard. Saura-t-elle déceler à quel point tes paroles sont sincères ? « Je sais aussi que le monde de Séverine peut être tout autant subjuguant qu’entêtant. Je suis étourdi rien qu’à l’entendre me narrer les récits de ses voyages, parfois. Je crois sincèrement que tes expériences avec elle peuvent être bénéfiques, mais combien de fois t’a-t-il été donné de revoir les mêmes invités plus d’une ou deux fois ? Il te sera difficile de trouver ta place dans la société si tu n’as guère l’occasion de nouer des amitiés avec les jeunes gens de ton âge. Savoir naviguer les cercles sociaux te sera immensément bénéfique, le temps venu. »

Tu parles beaucoup, réalises-tu, alors tu te tais pour lui laisser la chance de bien assimiler, de bien comprendre ce que tu viens de dire. De réfléchir aussi, afin qu’elle puisse te donner sa réponse. « Je crois que oui… Crois-tu qu’ils seront aussi indulgents que Nathanaël et toi, envers moi ? La robe aidera, n'est-ce pas ? » Tu serres délicatement ses doigts, comme pour la rassurer, lui faire savoir qu’elle ne sera pas seule, que tu seras là. « S’ils ne le sont pas, alors ils ne sont pas dignes de ton amitié. Tes maladresses occasionnelles font partie de ton charme, quoi que pourraient en penser les autres. Cette robe leur montrera que tu es l’une des leurs, des nôtres, et que tu es prête à y prendre ta place. Le reste viendra, tu verras. »

Zacharie semblait plus assuré qu’elle-même pouvait l’être quant à son intronisation à la haute société, et cela la rassurait considérablement. Malgré les petites maladresses, malgré son accent qui s’amenuisait pourtant de jour en jour, malgré ses manières parfois naïves, parfois enthousiastes, son père ne lui en tiendrait pas rigueur. Enfin, celui qui l’avait adoptée. Il lui semblait que Nathanaël remplissait entièrement le rôle de père, de protecteur, de complice, alors qu’avec Zacharie, les choses étaient moins évidentes. Les choses allaient moins de soit. Elle le considérait pleinement membre de sa famille, toutefois! Seulement, le qualificatif de père n’était peut-être pas celui qui lui venait naturellement à l’esprit. Peut-être était-ce la différence d’âge, si faible, entre eux, ou bien l’étrange réserve qu’il maintenait en sa présence..? Mais des moments comme celui-ci, sa petite main blanche perdue entre les siennes, agenouillée à ses côtés à se confier à lui, liaient plus encore leur relation indéfinissable.

- Je ne pourrais jamais renoncer à Aubrée et Arnaut. Ils sont qui je suis… Et vous êtes ce que je suis devenue.

Ce fut elle qui attira la main de Zacharie vers ses lèvres. Elle hésita un moment à y déposer les lèvres, mais sans doute par pudeur, elle préféra y lover sa joue rose et fraîche en une caresse délicate. Son minois roula un tantinet jusqu’à ce qu’Agathe recroise son regard.

- Si je suivais Séverine de manière plus assidue, je pourrais revoir les mêmes personnes, tu sais. Ce serait des gens de l’Ancrage, des hommes du désert, des émirs si intrigants, et je pourrais voir Aubrée plus souvent, dans les tréfonds. Pour des amis Cielsombrois, toutefois…

Délicate, elle abandonna les mains de Zacharie pour lover le petit Hallebarde contre son coeur. Le familier retroussait le museau pour lui offrir quelques caresses, percevant instinctivement son embarras d’avoir si peu d’amis. Depuis Ansemer, Agathe redoutait les autres enfants par peur qu’ils ne découvrent tout ce qu’elle pouvait vivre à la maison, avec Alban. Ses amis avaient été son frère et sa soeur. Puis elle avait appris à survivre toute seule, à mener sa barque à force de détermination, jusqu’à ce que Nathanaël la trouve. Depuis, il y avait Valentine, la jolie savante, qui pouvait se targuer d’être sa meilleure amie. Mais elle n’était pas issue de la belle société, et Agathe redoutait qu’elle ne vale rien aux yeux d’un Cielsombrois si difficile que Zacharie. Il y avait Melbren, également, qui avait gagné son affection, mais le Séverac était un ami de la famille toute entière. Mis à part eux, son cercle d’amis en Sombreciel - et même ailleurs, si ce n’était d’Octavie - était bien restreint.

- Je me présente à chaque réception où je suis invitée, ou presque. ...Lorsque je ne suis pas loin d’Euphoria. Maintenant que je suis en âge, je crois que les invitations seront plus nombreuses. Je ne sais pas quoi te dire… Je n’ai pas l’impression de mal agir.

Après tout, il y avait bien peu de solution à ce que Zacharie approchait comme étant un problème épineux. Les invitations n’étaient pas très nombreuses, il était vrai, mais Agathe était de ce monde depuis seulement trois petites années, un peu moins. Elle faisait la moue, toute songeuse, à se demander si ce n’était pas à Zacharie d’inviter des gens à elle, plutôt que d’espérer que les autres l’invitent à eux.

- Que me proposes-tu, Zacharie? Voir le monde en compagnie de Séverine ne semble pas suffir, ni les soirées que nous offrons, ni les invitations que j’accepte dès que je le peux. Tu dois avoir une petite idée..? Dis-moi, et je ferai de mon mieux. C’est si nouveau, pour moi...

Comme elle avait peur de lui déplaire, en en faisant trop peu à ses yeux! Pour témoigner de sa crainte, Hallebarde avait grimpé jusqu’à son épaule pour détailler Zacharie, lui aussi. Ils patientaient la répondre de l’avocat, supposant tous deux qu’il avait forcément une solution parfaitement adaptée à ce problème qu’il soulevait.

« Je ne pourrais jamais renoncer à Aubrée et Arnaut. Ils sont qui je suis… Et vous êtes ce que je suis devenue. » Tu souris légèrement en sentant cette infime hésitation, non par moquerie, mais par tendresse. Tu ne démontres pas forcément toujours ton affection envers Agathe avec des gestes, ni même avec des paroles. Tu es beaucoup plus réservé, dans ta relation avec elle, que tu ne peux l’être avec d’autres. Mais ce geste tendre, cette caresse contre une joue si lisse, tu la lui offres avec plaisir.

« Si je suivais Séverine de manière plus assidue, je pourrais revoir les mêmes personnes, tu sais. Ce serait des gens de l’Ancrage, des hommes du désert, des émirs si intrigants, et je pourrais voir Aubrée plus souvent, dans les tréfonds. Pour des amis Cielsombrois, toutefois… » « Je n’en doute pas un instant. Mais ce n’est pas quelque chose d’aisé que de te t’éloigner de la carrière que tu as choisie simplement pour assurer des contacts diplomatiques. Des connaissances ici, à Euphoria, ou même autour de Sombrétoile, te permettraient de socialiser sans devoir parcourir le continent. » Cela lui permettrait de s’épanouir encore davantage, songes-tu. Sans compter la nécessité tant pour toi que pour elle de maintenir des contacts dans les bons cercles sociaux…

Tes paroles se voulaient encourageantes, mais tu te rends vite compte qu’elles n’ont pas l’effet escompté sur Agathe qui songe aussitôt à ses actions, qui se remet en question, déjà, encore. « Tu fais tout ce que tu dois faire. Ce n’est pas toi ou tes actions que je remets en question, mais bien les miennes. » Tes lèvres s’étirent dans un sourire qui se veut rassurant. Tu espères qu’elle y verra ta sincérité, tes bons sentiments, et tes espoirs pour elle aussi. Ceux dont vous ne discutez jamais vraiment ouvertement, mais qui sont là, sous-entendus. Des souhaits de bonheur, certes, mais aussi un désir de la voir capable de reprendre Sombrétoile en main si quelque chose devait t’arriver. Pas demain, tu comptes bien rester à ses côtés longtemps encore, mais il n’est jamais trop tôt pour la préparer. La vie surprend, parfois. Vous l’avez appris un peu à vos dépends, ces dernières années.

« Que me proposes-tu, Zacharie? Voir le monde en compagnie de Séverine ne semble pas suffir, ni les soirées que nous offrons, ni les invitations que j’accepte dès que je le peux. Tu dois avoir une petite idée..? Dis-moi, et je ferai de mon mieux. C’est si nouveau, pour moi... » « Je ferai jouer de mes relations pour tenter d’élargir ton cercle social. Il est plus que temps que nous nous remettions à recevoir régulièrement. Ces soirées me manquent, et elles seront de bonnes occasions pour toi d’apprendre à connaître de nouvelles personnes. » Tu t’arrêtes un instant avant d’ajouter en riant : « Et je promets d’éviter de tout tourner en débats, même ! Je saurai me tenir pour que tu puisses nouer des liens avec eux. »

Tu adores débattre. Nombre de vos soirées sont peuplées de discussions animées autour de différents sujets qui touchent les participants, et tu ne te gênes jamais pour plonger au cœur de ces conversations pour défendre tes opinions. Ce n’est pas un problème lorsque vous recevez des amis qui savent à quoi s’attendre et qui, souvent, lancent d’eux-mêmes les débats, mais tu n’es pas sans savoir que ce n’est pas le genre de soirée appréciées par l’ensemble de la noblesse cielsombroise.

« Et si tu as une idée de qui inviter, ne te gênes pas à m’en faire part. Je trouverai comment discrètement inviter ceux et celles qui pourraient t’intriguer davantage. En toute amitié… Ou davantage ! » En toute amitié. Ou plus. C’est le genre de conversations que tu aimerais bien pouvoir avoir avec Agathe, même si tu sens qu’elle en est encore gênée. Tu n’oses pas trop pousser, du coup, mais tu tiens à ce qu’elle sache qu’elle peut t’en parler. Tu as beau être ton père, tu as envie d’être aussi un ami. Peut-être était-ce la faible différence d’âge entre vous. Ou simplement ton désir de connecter avec elle sur des sujets plus personnels…

Les paroles de Zacharie la rassurèrent un peu, au moins, alors qu’il endossait l’entièreté de la faute quant à la situation actuelle. La situation épineuse, pour lui, mais plutôt quelconque pour Agathe. Elle n’était pas assez connue, à ses yeux, alors qu’Agathe peinait à comprendre pourquoi tout pressait, soudainement. Il y avait déjà trois ans qu’elle suivait Nathanaël, qu’elle apprenait à connaître leur monde, leurs amis, leurs connaissances. Peut-être était-ce vrai, ce qu’il se murmurait parfois quant aux Sombrétoiles, que les gestes de l’aîné avaient entaché la réputation de la lignée toute entière, que les réceptions moins nombreuses créaient un aura de mystère autour du couple et de leur étrange fille venue de si loin. Pour Agathe, toutefois, il n’y avait réellement que cette crainte de déplaire à Zacharie, qui la pressait de réagir et de s’activer, et non pas une course à la popularité au sein des cercles mondains.

- Tu auras toujours tes soirées pour débattre avec tes amis, Zacharie. Tu parlais de fête, n’est-ce pas, de réceptions joyeuses, pour danser et rire? Et des pâtisseries?

Elle levait son museau, à l’image du petit Hallebarde qui s’était réfugié sur son épaule, pour s’assurer des promesses de son presque père. Les longues soirées à débattre sur la nature profonde du mal dans la société n’étaient pas ennuyeuses, mais il fallait bien avouer que pour une jeune femme curieuse et espiègle, il manquait là un petit quelque chose de pétillant. Élever son esprit était nécessaire, surtout en Sombreciel, mais il lui semblait que s’amuser un peu, rire, virevolter et apprendre à connaître les gens autrement que par leurs idéaux sur des questions sans réponse était primordial. Surtout en Sombreciel.

Ce fut l’autre question, la terrible question, qui la fit rougir légèrement. Celle sur ses amis à inviter. Ou ses prétendants éventuels. Elle se redressa dans un joli bruissement de jupons puis traversa la vaste chambre jusqu’à la fenêtre mansardée. De là, la vue sur Euphoria était agréable, avec tous ses passants si petits, et ses zeppelins à l’horizon. La mignonne se posa plutôt sur le rebord de la fenêtre, un peu remise de ses rougeurs, afin de lui faire face à nouveau. Elle qui peinait à collectionner quelques amis, et le voilà qui abordait le sujet délicat - et inexistant - de ses amours…!

- Je…

Il lui semblait que les mots s’envolaient avant même qu’elle ne puisse les attraper, la laissant sans voix sur le bout de son coussinet. Le simple fait d’avouer à Zacharie qu’elle n’était pas très populaire l’embarrassait plus que l’impopularité elle-même.

- Tim. C’est un ami d’Arnaut… Il serait agréable de l’inviter.

Tim…? Tim l’Escampette? Hallebarde fourrait son museau froid dans son oreille, ce qui la fit grimacer au passage. Tim la terreur des sept mers? Il est le seul à me courtiser. Pour embêter Arnaut, oui. Son nom avait filé seul, hors de ses lèvres. Agathe baissa les yeux un instant tandis qu’elle se questionnait sur le montant de Tim accepterait en échange de l’escorter à cette curieuse soirée qui viendrait. Ses économies étaient conséquentes, elle était confiante qu’il se tiendrait correctement pour quelques heures. Et puis… L’inviter officiellement ferait peut-être cesser ses mots d’amour, au moins pour un temps. Malgré ses arguments qu’elle improvisait déjà, il lui semblait que l’idée n’était pas très brillante. Après un petit silence, Agathe reprit parole tout en cherchant à défaire ce qu’elle venait de créer.

- Il revient rarement à Euphoria, mais si il visite les siens, peut-être pourrait-il se libérer pour une soirée…?

C’est de loin ta pire idée, Agathe. Il serait capable de se soulager dans la...

- Hallebarde l’adore.

Le hérisson couina d’indignation puis se dissimula partiellement sous le rideau soyeux qu’étaient ses longs cheveux clairs. La jeune femme crispa un sourire, alors que ses griffes fines marquaient sa peau pâle, non loin de sa nuque.

- C’est un ami. Un simple ami. Je… Zacharie… Tu sais que..? Je n’ai pas… Je ne suis pas… Il n’y a personne qui m’intéresse.

Elle avait déloger Hallebarde du bout des doigts, évitant ses épines au passage, pour faire diversion devant son malaise qui grandissait. Le pire, le coup fatal, serait que Zacharie y voit là une ouverture pour parler de sa vie intime, et de tout son coeur, de toute son âme, Agathe priait Fortuna et sa chance afin que la conversation se poursuive au sujet des pâtisseries de cette soirée prochaine.

Oh que tu aimerais, pour un instant, encore posséder l’innocence de la presque enfance. Celle qui pousse à ne vouloir d’une soirée que rires et pas de danse ! Ils sont bien loin, ces jours, pour toi. Et pourtant, tu n’es pas beaucoup plus âgé qu’Agathe te semble-t-il…

- Nous pourrons organiser des fêtes, oui. Et des dîner mondains et que sais-je encore. Il y a longtemps que je ne m’y sois pas appliqué ! Tu m’aideras, n’est-ce pas ?

Vous trouverez certainement un arrangement équitable qui vous convienne à tous les trois. Nathanaël et toi vous ferez un plaisir d’envoyer les invitations. Agathe, de son côté, serait peut-être enchantée de pouvoir choisir quelles pâtisseries seront servies à leurs invités? Dans tous les cas, tu seras ravi d’organiser cette soirée avec l’apport de ta fille. Une touche féminine pour nuancer des préparatifs qui risqueraient autrement manquer de délicatesse. Oui, cela te plairait. Ainsi, ces soirées ne pourrait être que d’autant plus précieuse aux yeux de votre jolie blonde.

Tu ne t’imposes pas auprès d’Agathe lorsqu’elle se relève soudain pour rejoindre la fenêtre et son paysage citadin qui attire soudain toute l’attention de ta fille. Tu souris légèrement seulement, lui laissant le temps de réorganiser ses pensées clairement chamboulées. Puis de balbutier, presque, tellement l’embarras s’est emparé de la jeune femme.

- Agathe, dis-tu enfin dans un soupire lorsqu’elle avoue son embarras.

Tu te lèves pour venir la rejoindre près de la fenêtre. Ton regard se perd sur les passants qui arpentent la rue sur laquelle se trouve votre manoir pendant un instant alors que ta main vient se poser avec légèreté contre le dos de ta fille. Un geste simple, une présence, pour quelques secondes à peine avant que tu ne te tournes vers elle en cherchant son regard du tien.

- Je ne souhaitais pas te mettre mal à l’aise. Je te demande pardon. Je veux simplement que tu saches que tu peux m’en parler, s’il devait y avoir quelqu’un. Je ne t’y forcerai pas, c’est une conversation qui t’appartient et toi seule peut décider avec qui tu la partageras. Saches simplement que je suis là, que nous le sommes tous les deux, Nathanaël et moi, et qu’il nous fera plaisir d’ajouter des couverts de plus pour recevoir ceux qui te sont chers. Je serai toujours curieux, je poserai sans doute des questions qui t’embêteront, mais ce n’est pas pour mal faire. J’ai envie de te voir heureuse, simplement. Hmmm ?

Ta main se sera attardée sur son dos, sa hanche peut-être si elle te fait face. Ou peut-être sera-t-elle simplement retombée contre ta cuisse si Agathe a préféré s’éloigner ou refuser ton contact. Qu’importe. Ton regard s’est fait doux, ta voix tout aussi tendre que rassurante. Tu oublies, parfois, qu’elle n’a pas grandi en Sombreciel, votre Agathe. Que ses racines ansemarienne rendent difficiles certaines conversations, comme celle-ci. Tu le regrettes aussi, parfois. Jamais tu ne lui en voudrais pour cela, mais tu as parfois l’impression qu’il est difficile d’être complètement toi-même avec elle, de peur de la gêner et de la voir se refermer un peu sur elle-même. Comme aujourd’hui.

- Alors, quand devrions-nous organiser notre première fête ? J’aimerais bien recevoir à Sombrétoile. Cela fait des années que nous n’avons plus reçu comme il se doit là-bas !