L'amitié est une preuve de confiance...

Elles aiment se retrouver les jumelles de temps à autre à Amarna. Petit domaine juché dans les montagnes arhabéennes, coupé en deux : une partie oasis appartenant à Mélisende et une partie montagne, bien de Mélusine. C’est leur refuge, leur havre de paix, leur maison. Elles ont un genre de petit manoir placé entre la montagne et l’oasis. Chacune a ses appartements privés avec une partie commune. Mélisende a fait le chemin en compagnie de la caravane des arts. Elle a mis, à peu près, une quinzaine de jours pour aller d’Euphoria à Amarna avec les arrêts fréquents et ses propres rendez-vous. Depuis son arrivée, elle a eu le temps de poser ses affaires, de se reposer un peu en attendant sa soeur et de demander des nouvelles du domaine à l’Intendant. Amarna se porte bien et les finances sont bonnes, l’extraction des filons de gemmes est fructueuse en ce moment. Une semaine de vacances bien méritée demandée par Mélusine.

Mélisende connaît bien sa soeur et elle redoute toujours les annonces que peut lui faire l’imprévisible Mélusine. La première question que s’est posée la cadette à la demande de sa soeur a été : quelle bêtise a-t-elle encore faite ? qui faut-il tuer pour effacer les preuves ? Le statut de pirate n’a jamais dérangé Mélisende, à aucun moment. Un jour, elle lui a suggéré de trouver sa voie et c’est la voie qu’elle a choisie. Méli l’a toujours encouragé en ce sens et elle est d’autant plus fière d’elle que cette dernière est épanouie et a su évoluer dans la hiérarchie de l’Audacia. Elle est heureuse et c’est tout ce qui compte aux yeux de Mélisende. Qu’elle soit pirate, voleuse ou guerrière, cela n’a aucune importance du moment qu’elle est épanouie.

Assise dans leur petit salon extérieur, elle profite du soleil arhabéen après avoir traversé Sombreciel et sa grisaille de mi-avril en fumant sa pipe posée dans le canapé. Gudule est là aussi bien sûr, se baladant sur Mélisende, les coussins et le dossier, trépignant d’impatience à l’idée de revoir Précieuse. Gudule, c’est la surveillante, la petite garde du corps, la protectrice, la conscience de Mélisende. En l’absence de la surprotectrice Mélusine, c’est Gudule qui prend la relève pour veiller au grain.

« — Tu devrais te reposer, la route a été longue.
— C’est ce que je suis en train de faire…
— J’entends tes pensées, tu sais. Et tu ne te reposes pas !
— Elle est peut-être enceinte.
— Surement pas du beau chevelu au rouge-gorge alors ! »

Mélisende pouffe de rire manquant s'étouffer avec la fumée.

Un petit séjour à Amarna, voilà qui te fera du bien ! Pendant que l’Audacia répare quelques avaries à l’Ancrage, tu as profité de ton congé pour demander à Mélisende de te rejoindre dans votre belle demeure arhabéenne. Ce n’est pas très loin : de Vivedune, en quelques jours de voyage, on arrive au domaine que tu partages avec ta sœur et où elle t’attend sûrement déjà. C’est que tu as quelque chose à lui avouer, et conseil à lui demander… Et comme elle se trouve d’ordinaire en Sombreciel, à l’autre bout du continent, et que tu ne peux pas trop y débarquer de l’Audacia comme ça, tranquillement, les mains dans les poches et l’air innocent, tu apprécies qu’elle fasse l’effort de venir te retrouver chez vous, en toute sécurité.

La caravane à laquelle tu t’es jointe, qui vient acheter les gemmes de tes mines et qui est dûment escortée par un groupe de guerriers arhabéens grassement rémunérés, finit par arriver à Amarna, et tu descends de ton chameau avec un geste rendu fluide par l’habitude. Tu sais que Mélisende est déjà là, tu as aperçu le blason de Séverac flotter au-dessus de l’oasis en arrivant. Tu prends quand même le temps de te rafraîchir et d’enfiler des vêtements propres – tu n’as pas vraiment envie d’infliger à ta sœur une étreinte parfumée au chameau – et tu rejoins votre petit salon d’extérieur où tu es à peu près certaine de la trouver. Précieuse t’a précédée, tu la sais pressée de retrouver Gudule ; et lorsque tu t’avances dans la direction d’où te provient l’allégresse de ton familier, tu reconnais les effluves raffinés du tabac de ta sœur.

« Mélisende... ! » Impossible de se méprendre sur l’affection qui emplit ce simple mot, tandis que tu contournes la table pour la prendre dans tes bras. Elle te manque, ta jumelle, même dans cette vie trépidante que tu mènes sur l’Audacia. Elle te manque vraiment, et c’est un réel soulagement de revenir à ses côtés, à chacune de vos retrouvailles. « Tu es venue. » Tu n’en as pas douté, bien sûr, mais le soulagement dans ta voix trahit quand même l’inquiétude qui t’a suivie pendant ton court voyage. Le Destin sait ce qu’elle a dû s’imaginer, au vu de tes multiples frasques passées, à la réception de ton court message lui demandant de te rejoindre parce que tu avais 'besoin de lui parler rapidement'. « Ça va, tout va bien ? Tu n’as rien ? Tu es heureuse, tu manges bien ? » Et de te reculer d’un pas ou deux, pour examiner son tour de taille d’un œil critique. Il ne faut pas qu’elle se néglige, ta sœur adorée, tu sais bien que parfois la drogue peut lui faire oublier de manger ; et tu comptes sur Gudule pour l’y forcer, même si parfois les tentatives de la jolie tarentule ne portent pas vraiment leurs fruits. Mais pour cette fois, tu es satisfaite de ton inspection, et tu la serres à nouveau contre toi. « Tu m’as manqué, Méli ! »

« Mélusine ! Cela fait combien de temps… un mois, deux ? Plus ? Je perds la notion du temps, cela passe tellement vite ! Toi aussi, tu m’as manqué. Vraiment. » Un immense sourire se dessine sur son visage. Mélisende chérit les instants privilégiés qu’elle passe avec sa sœur. Elles essaient de se voir dès qu’elles le peuvent. Mélisende s’organise toujours afin de pouvoir se libérer. Câlin chaleureux, puis elles s’installent toutes deux confortablement au soleil. Elle sait qu’à partir de cet instant, Mélusine va scruter le moindre de ses faits et gestes pour guetter le moindre signe de vertiges ou de perte d’équilibre, mais ça va.

« Tout va bien, oui, comme tu peux le voir. Ne t’inquiète pas. Et toi, comment vas-tu ? Et l’équipage de l’Audacia ? Mayeul ? » Ne t’inquiète pas c’est peut-être LA phrase que Mélisende prononce le plus en compagnie de sa jumelle.  Mélisende a toujours  un mot, une pensée pour l’équipage du pavillon noir qui a accueilli Mélusine sans oublier Mayeul bien sûr qui fait presque partie de la famille maintenant. Il a un statut particulier : c’est le faux amoureux de Mélu, celui avec qui elle s’est enfuie sur l’Audacia, mais en fait elle ne s’est pas vraiment enfuie. Mayeul, c’est l’excuse parfaite à chaque fois qu’il faut justifier quelque chose en rapport avec Mélusine.

« Il y a du thé si tu veux. » Mélisende montre la théière en face d’elle et en profite pour se resservir une tasse. «  Et, je t’ai ramené de la liqueur de poire de Sombreciel que tu aimes tant, il y en a une pour Mayeul de ma part ! » soigneusement cachées derrière le canapé, Méli lui pose sur la table, les bouteilles qu’elle a ramenées.

«  Castiel m’a littéralement suppliée de t’apporter cette… petite bête ? » Méli ramène vers elle une petite corde style laisse à moitié mâchouillée avec au bout un mignon petit chaton. «  Il est à toi. Je ne suis pas mécontente de te le confier, je t’avoue, cela fait une dizaine de jours qu’il partage ma vie et il est comment dire… Enfin, je pense que vous vous entendrez bien ! Il t’a fait porter des jupons aussi, je te les donnerai après, ils sont dans mes affaires. Oui, je suis venue très charger !» Cela fait deux fois que Méli est obligée de se baisser et elle commence à avoir la tête qui tourne un peu.

— Bien contente qu’on se débarrasse de cette petite chose qui troublait notre tranquillité...

«  Et, avant que j’oublie papa te fait porter un message aussi, attends j’ai dû me le noter. » Mélisende déplie un  message qu’elle gardait à côté d’elle. Elle se racle la gorge et prend un air sérieux comme l’aurait fait son père. « Il dit : Sois prudente, refuse les avances de ceux qui ne te méritent pas et par pitié, ne reviens pas avec un enfant dans tes jupes. Ta mère rêve d'être grand-mère, mais achète-lui plutôt un joli bijou pour fêter son anniversaire. » Méli éclate de rire espérant que sa sœur ne veut pas lui annoncer sa grossesse au vu du message de papa Maximilien.

Tu ne te résous pas à la lâcher – elle t’a manqué, ta Mélisende, et tu la gardes contre toi quelques instants de plus, presque soulagée, quelque part, de retrouver ta jumelle. Vous menez chacune vos vies sans problème ; mais à chacune de vos retrouvailles, c’est comme si un vide en toi dont tu n’avais pas conscience jusque-là se comblait soudainement. Tu n’es pas solitaire, en son absence, non, tu as quantité de copains et quelques amis réels, certains même sur l’Audacia, Mayeul au premier rang ; mais la seule qui te comprenne vraiment, complètement et sans jugement, c’est ta sœur. Alors oui, elle t’a manqué : et tu t’es inquiétée chaque jour passé loin d’elle, préoccupée par sa santé et par son bien dangereux métier. (Le tien ? Non, il n’est pas dangereux. Il est trépidant, et c’est complètement différent !)

Le sourire aux lèvres, tu t’installes dans le confort des coussins à ses côtés, saluant Gudule de quelques mots chaleureux, amusée de la voir câliner Précieuse de ses petites pattes velues – et de voir en retour la huppe gratouiller affectueusement la tarentule du bec. Quelques remerciements pour la liqueur de poire – Mayeul sera ravi – et une tasse de thé plus tard, tu observes avec incrédulité Mélisende te présenter ce qui ressemble à un petit démon familier. D’une main, tu attrapes la laisse ; de l’autre, tu retiens ta sœur qui vient de se pencher pour la deuxième fois. Tu sais que cela lui provoque des vertiges, et tu préfères qu’elle reste sagement assise le temps que ça passe. Reportant ton attention sur la petite boule de poils qui mâchonne férocement sa corde, tu ne peux retenir un couinement attendri. « Il est tellement mignon, Méli ! Il faudra que je te donne un courrier de remerciement pour Castiel ! Depuis le temps que je rêvais d’avoir un petit animal à moi sur l’Audacia – le chef n’aime pas trop que je joue avec ses poules – cela tombe à pic ! » Le chaton grogne, renifle tes doigts, ronronne une ou deux fois, et entreprend de réduire ton mouchoir en charpie avec un bel enthousiasme. « Par Mirta, il a l’air si féroce ! Je vais l’appeler Belzébuth, et il va terroriser l’équipage. » hulules-tu gaiement, au comble de la joie. Il tombe à point, ce petit démon, et tu l’aimes déjà de tout ton cœur. Précieuse te transmet son contentement devant le potentiel destructeur de votre nouveau compagnon, et tu lui caresses doucement la tête, reprenant la conversation avec ta jumelle.

Une main sur le chaton et l’autre tenant ta tasse, tu te figes en entendant le message que ton père t’a fait transmettre. Tu restes bouche bée un instant, imaginant très bien les intonations sérieuses de Maximilien lorsqu’il tente de faire entrer une parcelle de bon sens dans ton esprit entêté. Puis un soupçon de doute te vient, lorsque tu regardes le visage de ta sœur et cette expression qu’elle ne parvient pas entièrement à dissimuler. Par tous les dieux du panthéon, est-ce qu’elle aussi… ? « Je ne suis PAS enceinte ! » éructes-tu d’un ton indigné, vexée comme un pou, ta tasse oscillant périlleusement dans sa soucoupe. Déposant ton thé sur la table basse, agrippant Belzébuth qui se cramponne à ton bras, tu te lèves d’un bond, arpentant de grands pas scandalisés la terrasse ensoleillée. « Je suis cielsombroise, enfin, je sais parfaitement comment empêcher ce genre de chose ! J’ai encore jamais ramené de bâtard, moi, que je sache ! Et je-je-je n’avais pas l’intention d’avoir des enfants ! Jamais ! Mais quelle idée, enfin ! »  conclus-tu dans une envolée de bras théâtrale, campée devant ta sœur en dramaturge chevronnée, le chaton crachotant avec férocité dans le creux de ton autre bras, tout hérissé en boule de poils menaçante, comme pour te défendre d’un danger qu’il ne perçoit pas directement.

Il est vraiment adorable, ce mignon Belzébuth.

Oui, les premières minutes, on le trouve tellement mignon.
Puis, quelques heures plus tard, sa véritable nature ressort et il se transforme en véritable démon. Mélisende est heureuse de voir sa soeur joyeuse également. Elle acquiesce et confirme qu’elle transmettra bien les remerciements et le mot de Mélusine à Castiel. « Belzébuth, voilà un nom qui te va bien, petite terreur ». Elle approche ses doigts tout doucement pour caresser le petit monstre, elle les retire bien vite avant d'être griffée et mordillée. Oh oui, quelle adorable créature destructrice tout droit venue des fins fonds de l'enfer...

Mélisende hausse les sourcils, surprise par cette soudaine agitation. Elle a vu le moment où la tasse et sa soucoupe allaient se briser en mille morceaux sur le sol et maintenant sa sœur marche sur la terrasse telle une actrice qui vient de monter sur scène, un petit peu vexée. Oups… Mélusine est tellement surprenante, que l’on s’attend tellement à tout et surement pas là où on l’attend à la base ; alors quand Maximilien s’est posé la question, ça n’a étonné personne ou presque. Disons que sur la liste des Séverac à qui cela pourrait arriver Mélusine est bien placée ! Mélisende la regarde, un brin amusé, profitant de ce spectacle dont elle ne peut se passer. Elle fait partie des membres de sa famille qui pense que Mélusine aurait dû faire carrière au théâtre. Ah oui... C'est certain, elle aurait surement été une grande actrice !

— Qui a pensé une chose pareille… ? Ici, personne... Mélisende est amusée par les pensées de Gudule.

« C’est exactement ce que je lui ai dit, mais tu sais comment il est...  » et il y a surement une part de vérité. Une partie d’eux qui veut avoir des petits-enfants. Cela ne déplairait pas non plus à Mélisende d’être marraine, mais pour l’instant, ça ne sera surement pas des enfants de Mélusine. Dans un coin de sa tête, Méli raye la supposition « Mélusine enceinte » et est quand même un poil soulagée. « Bien ! Donc si tu n’es pas enceinte, alors que voulais-tu me dire ? » de si important et... grave ? Quoiqu’après cette démonstration théâtrale, Mélusine a l’air de se porter comme un charme donc ça ne doit pas être si grave. « Je suis inquiète... »

Ça a bien tourné dans la tête de Méli tout ça et plus elle y pense et plus ça l’inquiète. Elle attend de savoir ce que sa soeur a, à lui annoncer, pour voir si elle aussi, elle lui fait ses confidences ou si elle s'abstient. Faudra-t-il sortir les mouchoirs ? Est-ce que Mélusine va se lancer dans une nouvelle scène jouant le drame de sa vie ? Mélisende espère juste que personne n'a fait de mal à sa jumelle, mais encore une fois, on ne dirait pas vraiment.

— Un problème sur l’Audacia peut-être ...
— Quelqu’un a tué ! Mélisende jubile déjà rien qu’à cette idée.

Elle se ressert une tasse de thé, maintenant que la bourrasque Mélusine est terminée, continuant à fumer tranquillement, toujours lovée entre quatre coussins. Oui, il n’y a rien à dire, Amarna est surement l’endroit qu’elle préfère dans tout Arven.

Oh, tu le vois  bien, l’amusement qui pétille au fond des yeux de ta sœur. Et oui, c’est vrai – elle a parfaitement raison de penser ce qui traverse sûrement actuellement son esprit : tu es vraiment, vraiment douée en envolées théâtrales. Mais est-ce ta faute, aussi, d’avoir tout appris d’Ismalia et de son verbe aussi haut que sa gestuelle est solennelle ! C’est plus fort que toi, tu aimes tempêter et te faire remarquer, savourant l’attention que tes éclats de voix te procurent. Ils le savent bien, sur l’Audacia, et même si cela amuse bien plus que cela ne contrarie, tes colères sont devenues légendaires. Mais tu ne te fâches pas contre Mélisende, non – jamais elle, jamais ta jumelle ! Ne serait-ce que par elle a l’insupportable défaut d’avoir systématiquement raison. Bien sûr, vous êtes parfois en désaccord – mais tu as appris que ses opinions se révèlent toujours fondées, et même si cela t’insupporte parfois, tu aimes pouvoir recourir à elle dès que tu as besoin de conseil.

Et c’est précisément pour quérir ses recommandations que tu l’as plus ou moins convoquée à Amarna. Grommelant à moitié, mais rassérénée maintenant que tes besoins de spectacle sont satisfaits, tu remontes Belzébuth sur ta hanche et tu viens te rasseoir près d’elle, la défaite inscrite dans toute ta posture. Tu te doutes bien qu’elle s’inquiète : il est bien rare que tu lui demandes de te rejoindre, toutes affaires cessantes ! Mais cette fois, tu subodores de possibles complications dans un avenir proche, et tu préfères assurer tes arrières avant de te retrouver enchevêtrée dans une énième situation inextricable. Non pas que cela t’arrive régulièrement : Mayeul s’est révélé étonnamment capable de t’éviter les plus gros écueils. Même si Mandy, Louis et même Martial ont également joué un rôle important dans ta conduite des dernières années !

« Je… », commences-tu, avant de t’interrompre tout aussi sec. Tu ne sais pas vraiment pas où commencer. Mélisende est habituée à tes frasques, mais celle-ci est différente des précédentes, de par l’ampleur de ses possibles conséquences. « Méli, j’ai un problème. » Oui, ça elle s’en doute certainement, avec tous les signes avant-coureurs de ta détresse ! Il n’y a pas vraiment lieu de prendre des précautions oratoires avec ta sœur, toutefois, et les tranquilles encouragements mentaux de Précieuse te donnent l’impulsion qui te manquait pour lâcher la bride à tes confidences. « J’ai rencontré quelqu’un. » Tu devines déjà les pensées qui vont défiler, et tu prends les devants. « Surtout, surtout, tu n’en parles pas au reste de la famille. J’imagine déjà Castiel organiser un mariage insensé, et ce n’est pas quelqu’un que je pourrai épouser. » Tu hausses les épaules, ne sachant trop comment lui expliquer la situation dans laquelle tu te trouves. « Avec les activités de l’Audacia, il m’est déjà arrivé d’utiliser mon nom et mon rang pour m’infiltrer dans des lieux officiels, et obtenir quelques informations. Cela évite parfois au capitaine d’avoir à payer des espions, et j’aime bien ça. Là… j’ai ‘infiltré’ un homme, déjà pourvu d’une épouse en bonne et due forme, et d’un cortège de maîtresses, ça n’a pas été compliqué d’obtenir ce que je voulais, comme tu t’en doutes, hein… L’expérience a été plaisante. » Mélisende t’accorde sa plus parfaite attention, et tu devines qu’elle se pose la question : en quoi cela est-il un problème, alors que tu as déjà fait ça plusieurs fois par le passé, et que tu as visiblement apprécié le processus ? « C’est ça, le problème, Méli. C’était en octobre, et j’ai eu les informations dont on avait besoin. La fois suivante, en décembre, je n’avais pas cette excuse, pour aller le retrouver. Il m'a dit que si je voulais revenir, il serait heureux de mon retour, Méli. Depuis… j'y suis allée à plusieurs  reprises. En cachette, mais… ça va finir par se savoir. » Tu baisses les yeux sur Belzébuth qui ronronne sur tes genoux, et tu gratouilles pensivement sa tête pour te donner une contenance. « Où est le souci, me diras-tu. Le souci, c’est que c’est un homme marié, Méli, et qu’il ne peut pas quitter sa femme… et que même s’il le faisait, il ne m’épouserait pas, moi. Enfin, il pourrait me le demander, mais moi je ne pourrais pas, j’aime trop ma liberté… Et il y a aussi le fait que l’Audacia est aussi le deuxième fléau de sa nation – le premier étant Sombreciel… Il n’a pas l’air trop fâché que je sois cielsombroise, mais s’il découvrait que je suis pirate… » Et tu continues à parler dans le vide, habillant ta confession de mille mots creux, sans oser avouer la vérité crue à ta jumelle : tu as peur d’être tombée amoureuse, d’un homme qui ne pourra jamais te convenir, mais qui te fait quand même tourner la tête. Te voilà prise, à ton propre piège !

L’espace d’un instant, Méli est soulagée. Sa soeur a rencontré quelqu’un. Il y a pire comme nouvelle. Mais, elle le sait, elle n’est pas dupe, ça ne doit pas être aussi simple vu tous les secrets qui planent autour de cette personne. Et, ça ne loupe pas, puisque l’instant d’après sa jumelle lui demande de ne rien dire. Encore une fois, Méli minimise… c’est le genre de requête qu’elle peut faire, elle aussi, dans un avenir plus que proche par rapport à Hiéranie. Mélisende a peur que ses racines ansemariennes soient plutôt mal vues par Castiel. Ou comme Mélusine le dit si bien que la situation devienne ingérable au vu de l’excessivité familiale. Un mariage est si vite arrivé…

Mélisende ne coupe pas sa soeur, mais elle tiendra promesse et ne le dira pas, tout comme Mélusine garde au fond d’elle ses propres secrets, Mélisende en fait de même. Mais, nous y voilà, il est certainement là le problème… ce n’est pas quelqu’un qu’elle peut épouser… Méli écoute très attentivement ce que Mélusine dit accrochée à ses lèvres, elle craint le pire à chacun de ses mots.  Pour le moment, elle ne voit pas trop le problème, mais elle s’attend à tout et surtout au pire.

Méli note chaque détail dans sa tête. Soigneusement. Ansemarien. Marié. Pas heureux ? Plusieurs maîtresses. A des informations…? Noble ? Le fait qu’il soit Ansemarien amuse un peu Mélisende, ça fait écho à sa propre histoire d’amour, mais celle de sa soeur semble beaucoup plus chaotique. Elle en a dit suffisamment pour que Mélisende commence à établir un profil : surement un haut placé de la société ansemarienne, peut-être un capitaine de navire ou un homme de l’armée d’Ansemer.

Le problème du monsieur qui ne peut pas quitter sa femme, en soit, n’en est pas vraiment un dans la tête de l’écoutante du Pas de l’Ombre… Ou en tout cas, Mélisende connaît une façon radicale de régler ce léger obstacle. Même si elle ne cautionne pas forcément ce genre d’agissements, s’il le fallait, elle ferait le nécessaire.

Le tracas de Mélusine ressort nettement à travers ses paroles. La situation lui pèse et elle ne dit pas tout. Ça, c’est particulièrement inquiétant. Sans un mot, même si Mélisende a des questions qui lui brûlent les lèvres, elle s’approche doucement de sa soeur et la serre fort dans ses bras. Elles restent comme ça un moment. C’est un lourd secret visiblement que Mélusine doit porter, alors c’est une manière de lui montrer que maintenant ce fardeau, elles le portent à deux.

La situation a l’air bloquée. Elle a foi dans les pirates et Mélisende croit que ces derniers comprendront si la relation de sa soeur vient à s’ébruiter, mais rien n’est moins sûr. Si le monsieur est l’ennemi des pirates… Cela pourrait être perçu comme une trahison…

Pour les Séverac, elle ne s’inquiète pas trop, la famille en a vu d’autre et qu’importe le nom que Mélusine dira, la famille s’en remettra. Dans tous les cas, elle n’a pas eu besoin de réfléchir longtemps Mélisende pour se faire une idée sur la question. Elle soutient sa soeur, qu’importe ce que l’avenir lui réserve. Elle est de son côté et la protégera autant qu’elle le pourra pour ça et pour tout le reste. Pour Castiel, c’est toujours un peu compliqué… Méli met cette question de côté pour l’instant, on avisera quand on y sera.

« Avant toute chose et que tu n’ailles plus loin dans tes explications,  je te promets que je garderai le secret. Et Gudule également. Tu peux compter sur mon aide et mon soutien, mon appui et mes conseils. ». Méli serre les mains de sa soeur entre les siennes. Elle est sincère, elle a bien compris le problème et toutes les conséquences que cela pourrait causer. Elle a bien saisi que ce n’était pas juste une passade, Mélusine accorde bien trop d’importance à la situation pour que cela soit juste passager…

L’aide de Mélisende est limitée, elle ne peut pas faire grand-chose pour aider sa soeur à s’infiltrer chez son amant, mais déjà elle fera en sorte de protéger son secret.

« Je redoute ta réponse… mais de qui es-tu en train de parler ? ».

Méli retient son souffle en attendant la réponse de sa soeur.

Il en a toujours été ainsi entre ta jumelle et toi : point de secrets, ou juste ceux sans conséquences ; point de rancune, jamais. Cela a toujours un peu surpris les yeux extérieurs, tant ton tempérament excessif semble impitoyable avec tous ceux qui entrent dans ton orbite ; mais Mélisende a toujours été exempte de la moindre malveillance de ta part. Elle est ta moitié, comment pourrais-tu nourrir un quelconque ressentiment contre elle ? Jamais ! Au même titre que Précieuse, ta sœur est la confidente de ton âme, le reflet de ton cœur, le regard sage qui sait décrypter tout ce que tu caches à l’intérieur. Et quelle dose de patience il a dû lui falloir pour te supporter toutes ces années ! Pour gérer tes excès et consoler tes chagrins tapageurs, pour raisonner tes caprices et tempérer tes humeurs, pour t’inculquer un grain de bon sens et réfréner tes ardeurs.

Mais là, tu redoutes que le problème ne soit d’une ampleur un peu trop critique pour relever encore de la compétence de ta sœur. Pauvre, pauve Mélisende : tu te sens coupable, parfois, de déverser égoïstement sur ses frêles épaules tout le désordre de ta vie – pêle-mêle, dans le chaos le plus complet, un petit problème par-dessus l’autre, jusqu’à ce que l’ensemble atteigne une importance invraisemblable. Et elle opine du chef, ta merveilleuse meilleure moitié, prenant sûrement des notes mentales concises et détaillées, et tu le vois dans son regard : elle redoute le pire. C’est que tu l’as habituée à mille et une frasques insensées, il faut bien le reconnaître, Mélusine – même si celle-ci n’a aucune commune mesure avec les habituelles lubies inspirées par ta nature turbulente. Non, là, c’est la bêtise de trop. Même toi, tu le reconnais.

(Si papa savait.)
(Il ne doit jamais savoir.)
(Tu ne supporterais pas la déception silencieuse dans son regard.)

Tu te réfugies un instant dans l’étreinte affectueuse de ta sœur, puisant dans le réconfort qu’elle tente de t’apporter, comme quand vous aviez sept ans et que tu avais refusé de sourire pendant trois semaines parce que tes deux dents de devant étaient tombées en même temps, et que tu te trouvais affreuse. Une vague de nostalgie pour cette époque plus simple te traverse un instant, mais tu as bien conscience qu’il va falloir assumer tes actes, cette fois, et te montrer un peu responsable. Quelques instants passent en silence – la main de Mélisende qui caresse doucement tes mèches emmêlées calme un peu ton agitation, et quand elle te pose la question fatidique, tu ne blêmis qu’à peine. Tes lèvres s’entrouvrent pour lui répondre, tes mains se mettent à trembler dans les siennes – et aucun son ne sort de ta gorge desséchée.

Tu as presque envie de te mettre à pleurer, tant tu as honte de toi, là tout de suite. Mais ce n’est pas encore le moment, et dans un couinement pathétique, tu forces la vérité à émerger de ton gosier. « C’est-c’est Bartholomé. De Bellancre. » Et dans un souffle précipité, tu précises avec une grimace piteuse, comme si ta sœur politicienne avait besoin d’un tel éclaircissement : « L’amiral du Triumvirat. » Tu n’oses plus la regarder. Tu te fais mille et une idées sur ce que son expression doit traduire : le choc, sûrement. Un homme si haut placé ! Peut-être la désapprobation : c'est l’un des adversaires politiques de Castiel, après tout. Certainement un peu de pitié pour sa sœur égarée loin du droit chemin. De la lassitude de devoir toujours recoller les pots cassés ? « Aucune chance que tu puisses faire assassiner sa femme… ? » demandes-tu sur le ton de la plaisanterie – car ce ne serait évidemment pas la solution au problème.

Même si, quand même, tu te sentirais clairement moins coupable de te glisser entre les draps d’un homme célibataire !

« Oh. » Ah. Quand même. LE Bartholomé de Bellancre. L’amiral du Triumvirat. Bien bien bien. Mélisende efface de son esprit les options d’assassinat du dit, monsieur. Impossible. Un ansemarien plus que haut placé haïssant très probablement les pirates à qui Mélusine devra toujours mentir vraisemblablement. Marié avec des enfants. Plein d’autres hommes ont du charisme et forcément il faut que cela tombe sur Bartholomé de Bellancre. Point de jugement dans le regard de Mélisende, peu importe, du nom, de qui, mais il fallait qu’elle sache pour comprendre le fin fond du problème. « Je doute que cela suffise. Il faudrait qu’il change de nation et d’avis au sujet des pirates.  » dit-elle sur le même ton de plaisanterie. En soit, trois fois rien. Mélusine a, comme toujours, choisi la voie de la simplicité.

Elle comprend pourquoi elle vient de faire la promesse de ne rien révéler. En effet, même papa trouverait ça déraisonnable. Et Castiel, bon, s’il sait que Mélusine voit quelqu’un avant de lui avouer l’identité de cette personne, il est effectivement fort probable qu’il s’enflamme un peu trop vite et que ses réactions deviennent ingérables.

Elle ne sait pas trop quoi conseiller à sa jumelle, la situation semble bien plus compliquée… « Tu l’aimes ? » En fait, Mélisende est un peu inquiète, parce qu’elle a peur que sa soeur souffre dans cette relation. Alors peut-être que le jeu en vaut la chandelle, mais une chose que Méli ne tolère pas c’est de voir Mélusine souffrir. « Tu es heureuse ? » Parce que finalement, c’est le plus important, si elle est heureuse. Elle joue un jeu dangereux, mais Mélisende ne doute pas que sa soeur sera y jouer avec perfection. Elle a l’air préoccupé et à raison sa relation avec l’amiral n’est pas anodine, ce n’est pas la fin du monde, mais son statut de pirate complique pas mal les choses.

« Ne te tracasse pas, il faut juste que tu fasses attention à toi surtout quand tu vas le voir. Méfie-toi de la jalousie de ses autres maîtresses et de l’amirale des flots aussi. » En fait, ce n’est pas tant Bartholomé que Mélisende redoute, mais bel et bien, toutes les autres femmes qui l’entourent. La jalousie des autres femmes, si l’une d’elles découvre son secret, il lui serait aisé de tout révéler afin de faire tomber la pirate qui partage le lit de l’amiral des flots.

« Je serais là pour te couvrir si tu en ressens le besoin. » pour la famille surtout. Et si cela dégénère avec Bartholomé, le contrat sera sur sa tête à lui, oui. Si vraiment, la vie, la couverture et la liberté de Mélusine étaient en danger. Oui, Méli pourrait en venir à le tuer ou orchestrer son assassinat. Pour Mélusine. Pour sa jumelle. Pour sa moitié. Elle serait prête à tout. Tout.

L’esprit analytique de Mélisende est visiblement en pleine cabriole, fonctionnant à plein régime ; et tu n’oses même pas imaginer ce qu’elle est en train de penser de toi. Il y a tant de sous-entendus, dans son petit ‘Oh’ tout calme ! Mille réactions tacites, mille commentaires informulées. Tu ne te sens pas jugée, pourtant – peut-être plainte, mais jamais dégradée dans le regard de ta sœur. Infinie patience. Se lassera-t-elle seulement un jour de tes frasques ? Jamais, tu espères. Tu as trop besoin d’elle pour recoller sans se plaindre les lambeaux de ta vie en pagaille que tes lubies saccagent à l’envi ! Merveilleuse Mélisende. Tu as renoncé à comprendre vous aviez pu naitre ensemble pour grandir si différentes – l’instinct te souffle qu’elle s’est forgée dans l’espace que ta turbulente énergie voulait bien lui laisser occuper – elle est là, elle est toujours prête à assurer tes arrières, et c’est là le plus important.

(Papa ne doit jamais savoir.)
(Elle se laisserait écarteler plutôt que d’éventer tes secrets.)
(Nul, jamais, ne sera plus digne de ta confiance.)

Tu câlines machinalement le petit chaton démoniaque qui déchiquette allègrement la doublure de ton jupon, un peu coincée par sa question. Est-ce que tu l’aimes ? Est-ce que tu es heureuse ? « Je ne sais pas. » souffles-tu, comme une prière pitoyable. Douloureuse confession. Il t’obsède un peu. Un peu beaucoup. Ça, c’est certain. Sa prestance t’attire. Son caractère te plaît. Son tempérament bouillonne tout autant que le tien. La bourrasque qui nourrit la tempête – deux âmes éprises de liberté, d’absolu. De chaînes rompues. Deux égoïstes, au fond, plus attirés par leur propre plaisir que par les responsabilités confiées par autrui. Il aime son pouvoir. Tu aimes t’en affranchir. Le défi à sa souveraineté, qu’il soit affiché entre ses draps, ou caché quand tu attaques ses domaines. Il ne sait. Toi, cela te hante, et tu adores ce frisson de danger quand tu évolues à ses côtés. Tu joues avec le feu, et cela t’amuse – cela t’exalte, presque. Tête brûlée. Cela te plaît, c’est sûr – tu te sens forte, tu te sens intelligente. Presque invincible, alors que tu récoltes sur l’oreiller les informations qui vous donneront l’avantage sur ses armées. « Peut-on vraiment aimer dans ces conditions ? » Tu l’utilises. N’est-il qu’un prétexte ? Ce serait facile de le prétendre. Mais la vérité t’effraie. Est-ce qu’une petite, toute petite part de toi, ne serait pas un peu en train de tomber amoureuse d’un des pires coureurs de jupons du continent ? Piteuse, tu baisses les yeux. « Je pense que je pourrais l’aimer. S’il n’y avait pas… tout ça. » avoues-tu, avec une grimace évocatrice, soulignant ton propos d’un ample geste du bras.

Tout ça. Sa femme. Ses enfants. Ses maîtresses, les officielles et les clandestines, les régulières et les simples coups de reins au détour d’un couloir. Sa couronne. La frondeuse Lady Ego cachée sous ta façade de dame gâtée et frivole. Sans tous ces secrets. « Les autres femmes ne sont pas un tel danger, sais-tu ? Je le vois peu, elles savent que je ne resterai pas ; et je suis la sœur du roi de Sombreciel. Pas une vraie princesse, mais ils connaissent les caprices de Castiel. Elles n’oseraient pas ; et l’amirale est… discrète. C’est une femme résignée. J’ai presque pitié d’elle, alors que je suis l’une de celles qui lui volent l’affection de son mari, c’est insensé… En tout cas, je ne suis pas une menace pour elles, pas tant que je ne porterai pas de fils. C’est ce qu’elles veulent, toutes : pondre un bâtard royal qui hériterait du trône. Très peu pour moi. » achèves-tu sur un gloussement étranglé. Tu serais une mère tellement déplorable que mieux vaut ne même pas évoquer cette idée !

Tu lâches Belzébuth pour te pencher sur ta jumelle et la serrer dans tes bras, dans une étreinte un peu émue. « Merci, Méli. D’être toujours là. » chuchotes-tu contre son épaule. « Tu pourras toujours compter sur moi, je te le promets. » Chère, si chère Mélisende !

Elle ne sait pas. Ce n’est pas grave, même si c’est important pour Mélisende de savoir si au moins sa soeur est heureuse. Certainement. Si elle se permet cette confession, si elle continue à jouer avec le feu, c’est surement parce que cela vaut la peine de prendre un tel risque. « Oui, je le pense. Un amour dangereux, mais un amour quand même. » Evidemment qu’elle l’aime, en tout cas Mélisende en est persuadée. Cela ne poserait pas autant problème si elle n’était pas amoureuse, si c’était juste comme ça. Elle prend des risques, mais cela n’étonne pas vraiment Mélisende. Facile n’a jamais vraiment été dans le vocabulaire de sa soeur. « Soit prudente malgré tout ! » Les femmes peuvent être des harpies, même si Mélusine n’a pas d’enfant, même si c’est la soeur de. Si les autres se sentent menacer, elle n’est à l’abri de rien. « On ne sait jamais ! »

« Toi aussi, tu pourras toujours compter sur moi. » Elle enlace aussi sa soeur tendrement. « Heureusement que tu es là. » Bien souvent, c’est Mélusine qui vient pimenter la vie de Mélisende et là c’est encore le cas. Même si Mélisende ne se débrouille pas trop mal en ce qui concerne les relations amoureuses à distance compliquées.

« Maintenant que nous sommes dans les confessions, j’ai moi aussi quelque chose à t’avouer. C’est beaucoup moins… » Méli reproduit le geste ample que sa soeur vient de faire en parlant. « comment dire…  » le seul mot qui lui vient à l’esprit c’est « problématique », mais elle se refuse de l’employer « disons que par rapport à toi, c’est plus simple. Je ne sais pas si tu te souviens, cela doit faire cinq ans à peu près, quand on a fait restaurer la fontaine, tu sais, ça n’a pas d’importance de toute manière, une archéologue était venue, tu avais dû faire sa connaissance. Hiéranie. Je t’en avais reparlé lors de la rénovation des sous-sols. J’avais dit que je l’aimais bien. Bon. »

Plus elle parle et plus elle se dit qu’elle aurait dû juste dire « Je suis officiellement avec Hiéranie et Ardashir, une ansemarienne et un arhabéen, ne t’inquiète pas Mélusine, je ferais diversion lors des repas de famille...  »

« Et aussi, ce beau mâle arhabéen de la caravane des arts sur lequel je fantasme. Ardashir. Il se trouve que je leur ai proposé que l’on se mette ensemble. Tous les trois. » Méli n’a pas de mal à en parler, elle ne veut pas être trop directe, elle voulait bien expliquer à sa soeur, même si c’est quelque peu raté. Elle n’ose même pas imaginer quand il faudra le dire, officiellement, à TOUTE la famille. C’est rare qu’elle évoque des amants et amantes, elle a eu « peu » de relations sérieuses, souhaitant majoritairement se concentrer sur la cour des miracles et ses responsabilités d’assassin.

« Tu es la première à le savoir. La relation est plus ou moins secrète pour le moment et moi, j’attendais de voir si ça marchait ou pas. C’est tout récent. » Méli a évoqué ces derniers mois des sorties, des rencontres et autres petits indices, mais elle n’a jamais souligné le côté “sérieux” de la situation. Elle avait besoin de mûrir l’idée dans sa tête et de scruter au fond d’elle si c’était réellement ce qu’elle voulait ou pas. Elle a un petit pincement au coeur, mais Mélisende se sent soulagée de l’avoir dit. Jusqu’à présent, elle ne voulait pas se laisser influencer, mais maintenant elle était prête à le révéler au monde entier.

Enfin, juste à Mélusine déjà.

On te pose souvent la question, de décrire ce que c’est d’avoir une jumelle. Il y a bien sûr tout un tas de platitudes que tu pourrais débiter, des lieux communs sur le lien privilégié de deux sœurs qui ont toujours tout partagé, d’avoir toujours quelqu’un sur qui compter, et tout le tralala habituel des relations familiales. Mais ce que Mélisende te donne, et qui jamais personne d’autre n’a été en mesure de te donner, c’est ça : la compréhension pleine et totale de celle que tu es, de chaque émotion que tu ressens, même quand toi-même tu ne sais pas y mettre des mots. Et l’acceptation complète, sans jugement, de chacun de tes choix. Ce qu’elle est, pour toi ? Si un seul mot devait la qualifier ? Ou deux ?
Inestimable.
Irremplaçable.  

Tu la serres contre toi, pleine de gratitude pour ses conseils avisés et son soutien ; quand le ton de sa voix devient plus sérieux. Immédiatement, une petite alarme se met à tinter dans les tréfonds de ton esprit : quand Mélisende est inquiète, c’est forcément mauvais signe ! Tu libères ses épaules, mais tes mains accrochent l’une des siennes, la gardant soigneusement enserrée en signe de soutien. Elle parle, elle parle beaucoup, imite ton ample geste de dérision – moins problématique, hein ? Mais quoi donc ? Un regard rapide vers sa taille – elle n’a pas l’air enceinte, elle non plus, ce n’est sûrement pas ça – puis un coup d’œil méfiant vers Gudule qui sait forcément ce qu’il en est, mais qui ne dit rien, la vilaine ! Belzébuth continue à déchiqueter la dentelle de tes atours, mais tu ne lui accordes aucune attention : tu es totalement concentrée sur ta jumelle et sur ce qu’elle semble déterminée à te révéler.

La rénovation de la fontaine, oui, tu t’en souviens. Un peu moins de l’archéologue venue examiner les lieux – une blonde, de mémoire, avec l’accent paysan des filles d’Ansemer ? Tu te souviens aussi qu’elle était revenue au moment de rénover les sous-sols d’Amarna. Et Mélisende l’aimait bien, oui – mais elle ne t’en a pas reparlé depuis, et ta bouche s’arrondit dans un « ô » de surprise. Cela ferait, quoi, quatre ans ? Cinq ? Que Mélisende te cacherait ÇA ? Puis elle change de sujet, évoquant cette fois le guerrier de la caravane dont elle t’a déjà parlé plusieurs fois. Arhabéen, celui-là, si tu situes correctement – son nom d’ailleurs te le confirme. Tu plisses légèrement les yeux, essayant de suivre – que veut-elle te dire ?

Elle finit par lâcher le morceau, et tu es tellement surprise que le claquement de tes mâchoires lorsque tu refermes la bouche est nettement audible. Elle continue à t’expliquer, et toi tu ne sais pas quoi dire ! Elle a bien mentionné des petits rendez-vous, quelques sorties, quelques entrevues ces derniers mois ; mais tu es souvent sur l’Audacia, alors tu as peu suivi les évolutions de la vie sentimentale de ta sœur. C’est une excellente nouvelle, en tout cas, et tu es profondément heureuse pour ta sœur : elle mérite d’être aimée sans réserve, et le fait qu’elle ait trouvé non pas une mais deux âmes-sœurs te réjouit considérablement ! Un gloussement ravi t’échappe, et tu portes une main à tes lèvres pour tenter de réprimer ton hilarité. Peine perdue : ton amusement prend la forme d’un fou rire dévastateur qui te plie en deux une bonne minute, avant que tu ne réussisses à reprendre vaguement contenance, les larmes aux yeux et le souffle court.

« Oh Méli ! Il fallait que tu choisisses une Ansemarienne et un Arhabéen ! Promets-moi que je serai là le jour où tu le diras à Castiel ! » Parviens-tu à émettre entre deux gloussements irrépressibles. Médusé par ces sons étranges, Belzébuth a cessé son opération de destruction systématique, et tu le câlines affectueusement, le temps de te calmer suffisamment pour reprendre. « Je suis si contente pour toi, Méli ! Ils ont intérêt à te rendre heureuse comme il se doit, sans quoi je m’occuperai d’eux personnellement. » ajoutes-tu d’un ton menaçant. « Tu me les présentes quand ? »

À côté d’une telle nouvelle, ton aventure clandestine avec l’amiral du Triumvirat est bien dérisoire !

Au moins son annonce aura servi à changer les idées de sa sœur, contrariée par ses propres amours. Elle sourit avec elle, elle ne s’attendait pas à cette réaction, en fait elle n’a pas trop réfléchi à comment elle pourrait réagir. Et comment la famille allait réagir ? Elle n’ose même pas imaginer, au moins ses amours montrent son ouverture d’esprit.

« On va attendre un peu pour faire des présentations officielles avec toute la famille. J’ai un peu peur, mais je t’autorise à utiliser cela comme excuse si tu as besoin d’une échappatoire pour esquiver des potentielles questions au sujet de Bartholomé. »

C’est une grosse faveur qu’elle fait à Mélusine. Mélisende se propose de se sacrifier si besoin est, mais sa relation avec Bartholomé est bien trop importante. Il faut la préserver et la cacher autant que possible. Pour la survie de Mélusine. Méli aussi est prête à faire ce qu’il faut, même à tuer Bartholomé s’il le fallait pour que sa jumelle reste en vie. Elle ne l’a pas dit clairement, parce que c’est le genre de chose qu’elle ne peut pas dire surtout si Mélusine est amoureuse. Mais oui, elle le fera, si la vie de Mélusine est menacée.

« Quand l’occasion se présentera. C’est promis ! Et toi, tu me tiens au courant pour Bartholomé ! Je veux tout savoir. Enfin, peut-être pas tout tout, mais je veux que tu me racontes : ses présents et surtout s’il te traite bien. » C’est réellement le plus important et que Mélusine soit heureuse. Vraiment.
Pourvu que tout se passe bien pour elle…

***

Elles continuèrent à parler pendant un long moment, partageant les anecdotes, les nouvelles, échangeant sur l'avenir... C'était bon pour les jumelles de se retrouver dans leur domaine.